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Lorsqu’elle avait franchi cette porte (?) Nadia s’était peut-être attendue à tout, sauf à ce qui s’étendait sous ses yeux. Un monde similaire à celui qu’elle connaissait, mais pourtant si différents, qui lui sera difficile à appréhender. Sur le coup, la jeune femme n’avait pas réellement compris ce qui se tramait, alors que son objectif premier avait été d’échapper à cette foule et de s’éloigner de ceux qui ne devaient pas soupçonner sa présence. Après tout, elle n’était qu’une passagère clandestine, ayant allègrement profité de ses compétences pour se faufiler discrètement parmi ces personnes, espérant avoir quelque chose de croustillant à rapporter au Léviathan. Et à vrai dire, rien ne l’aurait préparé à faire une telle découverte. L’espionne Russe avait beau connaître un monde bien plus étendu que ce que le commun de l’humanité connaissait, jamais elle n’aurait cru possible ce voyage dans le temps. Et il lui avait fallu bien plus qu’une journée pour l’assimiler.
D’abord déboussolé par ce New York du futur et ce New York détruit, Nadia s’était instinctivement rendue à son ancienne adresse. Ou du moins, à ce qu’il en restait. Qu’espérait-elle y trouver ? Elle ne le savait pas vraiment. Mais elle n’eut pas besoin de trouver une quelconque réponse à cette question, car les ruines de l’immeuble l’empêcher de pousser une quelconque investigation. Or, de voir ce bâtiment détruit, cela lui permit de remettre ses pensées en ordre et de faire face à un tout autre problème. En observant les quelques personnes qu’il lui était possible de croiser, Nadia s’était rendu compte que son style vestimentaire dénotait drastiquement avec le reste. Une erreur de débutante à laquelle elle aurait dû remédier dès les premiers instants dans cette nouvelle ville, sans quoi elle attirerait indéniable l’attention. Et une espionne se montrant visible était une espionne signant son arrêt de mort.
Une semaine, ce fut le temps qu’il lui fallut pour commencer à se fondre dans ce monde s’ouvrant à elle. Une adaptation qu’elle avait encore du mal à faire, et qui lui fit comprendre que jamais elle ne passerait le cap, tant qu’elle ne ferait pas un voyage vers un autre continent. Perdue par cette temporalité et perdue dans ses repères, la jeune femme devait s’en trouver de nouveau. Et pour ça, il lui fallait retrouver les siens. Retrouver cette organisation établie par-delà l’océan Atlantique et occupant le territoire des Soviétiques. Seulement voilà, l’espionne se trouvait face à un problème de taille. Les papiers qu’elle possédait, elle avait bien compris qu’ils étaient devenus obsolètes par ce voyage dans le temps. Et sans papier, il lui serait difficile de voyager. Un problème facile à résoudre à vue de nez, mais là, elle n’avait plus réellement ses contacts d’antan.
Ce fut cependant à une drôle d’adresse qu’elle venait de se rendre. Une information grappillée dans les rues sombres de la ville, tandis qu’elle avait su se rapprocher de la pègre new-yorkaise. Recevoir la coopération de moins-que-rien n’avait été des plus faciles pour celle ayant joué de ses charmes, et ce petit jeu lui avait permis de se rendre dans un appartement de Manhattan. On lui avait dit que cette femme était capable de tout obtenir, mais la Russe ne fondait que peu d’espoir sans preuve concrète. On lui avait appris à ne pas être trop optimiste et que la réserve devenait mère de sûreté.
— Je cherche Lucia Sforza. C’est vous ?
Une fois dans l’appartement, Nadia n’était pas passée par quatre-chemins. Allant droit au but, elle avait fait abstraction de tout ce qui l’environnait. L’enseigne évoquait une bijouterie et, après petite enquête de la Banshee, elle avait compris que ce lieu n’était que le résultat de la destruction du lieu de travail de l’orfèvre. Une belle couverture si la jeune femme tenant l’endroit trempait réellement dans l’illégalité. Car il avait été inimaginable pour la mutante de se lancer dans cette rencontre sans la moindre information à son sujet. Après tout, rien ne lui disait qu’elle n’était pas une envoyée de la SSR pouvant alors la démasquer à tout moment. Mais Nadia était confiante et c’était bien cette assurance qu’elle affichait face à la commerçante.
Lucia se trouvait dans l’appartement que son grand-père lui avait trouvé, elle faisait partie des victimes de la bataille, elle avait vu son échoppe être détruite entièrement et elle avait dû se trouver un point de chute rapidement. Elle ne pouvait pas laisser ses affaires en plans, la joaillerie pouvait attendre, mais ses activités parallèles ... Pas vraiment.
Elle avait réussi à récupérer ses matières premières, avant que les pilleurs ne le fassent à sa place, Lucia se trouvait donc dans la pièce qui lui servait d’atelier, elle avait actuellement ses yeux de corbeau, elle arrivait beaucoup mieux à voir les détails de ses œuvres grâce à eux. Elle travaillait sur un collier en forme de serpent, serti de petites pierres précieuses taillées de manière à ce qu’elles représentent ses écailles. Si elle arrivait à mener à bien son travail, elle pourrait le vendre à un très bon prix. Elle restait toujours impressionnée par les sommes que certaines personnes pouvaient débourser pour faire plaisir. Mais elle en était également heureuse, cela lui permettait de vivre confortablement. “La Fenice Zaffiro” c’était ainsi qu’elle avait nommé son enseigne, c’était aussi la première pièce qu’elle avait créé de A à Z et qu’elle portait fièrement sur elle sous forme de broche, un phénix fait de saphirs, de diamant et d’argent.
L’Italienne avait reçu un appel du concierge lui annonçant qu’une jeune femme souhaitait la voir, elle ne fut donc pas surprise lorsque la porte s’ouvrit, elle posa ses outils et se leva pour se rendre à l’entrée. Blue s’envola pour se poser sur son épaule, Lucia découvrit alors une jeune femme caucasienne, aux traits méditerranéens. Elle ne saurait dire si elle venait du même pays qu’elle ou si elle venait d’ailleurs. Les mots qu’elle prononça avaient une légère tonalité hispanique.
-Cela dépend de qui la demande. Mais oui, je suis Lucia Sforza.
-Je s’appelle Blue.
La voix nasillarde de l’oiseau se fit entendre, Lucia désigna le volatile sur son épaule.
-Et mon assistante Blue.
Son invité lui demanda si elle pouvait l’aider. C’était possiblement dans ses cordes, elle avait de multiples talents.
-Je peux potentiellement vous aider. Mais la question est : en quoi puis-je vous aider ?
Si ce monde mettait Nadia mal à l’aise de par son manque de connaissance, elle n’en laissa rien paraître lors de cette rencontre. Sans être sur un terrain conquis, elle avait déjà dû traiter avec ce qui se rapprochait au mieux de l’illégalité. Alors ce n’était qu’une opération de routine pour elle, mais où il lui fallait faire preuve de vigilance afin d’être certaine de ne pas tomber dans un piège. On lui avait dit que cette Lucia Sforza était quelqu’un de fiable, mais jamais la demoiselle ne se fiait aux dires. Elle avait besoin de se faire un avis par elle-même, mais sans pour autant perdre un temps précieux. Il lui fallait retourner en Russie au plus vite afin de reprendre contact avec le Léviathan et ainsi de mieux appréhender ce nouveau monde. Bien qu’il restait encore un problème avec cet objectif, par quel moyen pourrait-elle rentrer ? Un problème que l’espionne comptait bien résoudre plus tard, une fois son entrevu avec la propriétaire des lieux passée.
D’ailleurs, Nadia n’eut pas longtemps à attendre, avec que ladite propriétaire ne lui confirme son identité. Un bon point au moins, qu’elle ne se soit pas trompée, n’ayant pas envie d’expliquer à une inconnue son erreur. Là, elle pourrait aller droit au but. Du moins, avant, il y avait ce perroquet qui s’était présenté, désormais posé sur l’épaule de Lucia. La présence de l’animal aurait pu surprendre la jeune femme, mais Nadia n’était pas là pour s’extasier sur un quelconque oiseau exotique. Grand bien lui face qu’il s’appelait Blue, mais ce n’était pas à lui qu’elle comptait s’adresser, mais belle et bien à celle qui lui demandait en quoi elle pouvait l’aider.
— Vous m’avez été vivement recommandée. Vous seriez plutôt efficace dans votre domaine.
Un domaine peu recommandé par le gratin de la population, mais ce n’était pas chez eux que la jeune femme avait mené ses recherches. Sans compter qu’elle n’avait pas eu à étoffer de trop l’histoire qu’elle comptait servir, refusant de prendre le risque de s’emmêler les pinceaux dans cette époque encore bien trop méconnue pour l’hispano-russe. Sans compter que, de là où elle venait, ce n’était pas anodin de vouloir se rendre en Russie et Nadia ne savait guère ce qu’il en était ici. Alors elle préférait partie sur une base connue pour mieux la maîtriser et comptait bien improviser par la suite.
Mais d’abord, il lui fallait expliquer la raison de sa venue. Car, comme l’avait si bien souligné la Sforza, il lui fallait savoir en quoi il faudrait l’aider.
— Je dois me rendre en Europe, mais je ne possède pas les papiers nécessaires à ce voyage.
Ou du moins, ceux-ci n’étaient plus vraiment à jour, mais ce détail, Nadia préférait le taire. Elle ne savait pas encore si Lucia était digne de confiance et préférait alors donner le minimum d’information. C’était ce qu’on lui avait toujours appris à faire et, qui sait, par la suite, peut-être cette femme serait-elle une alliée de choix. Mais en attendant, sans même savoir ce qui l’attendrait dans l’ancien territoire de l’URSS, la demoiselle se devait de se méfier. Elle avait déjà fait suffisamment de gaffe lors de ses recherches pour trouver cette adresse, Nadia se devait de faire attention.
— Et l’on dit que vous êtes expertes pour finir des documents à ceux qui en ont besoin.
Bien entendu, Nadia s’était fournie de quoi monnayer cet échange. Mais ça aussi, elle ne le disait pas de suite, préférant attendre de voir ce que la commerçante proposait. Il n’était jamais bon d’étaler sa « fortune » sans avoir la moindre indication. La jeune femme avait déjà eu du mal à réunir ce qu’il lui faudrait, n’hésitant pas à faire les poches des passants. Elle avait alors découvert l’existence de carte qui semblait remplacer la moindre monnaie. Heureusement, Nadia avait fait le voyage avec ses propres affaires, contenant quelques pièces de bijoux de son époque. Une chance alors qu’on lui avait dit que la véritable façade de son interlocutrice était la joaillerie.
— Pouvez-vous m’aider ?
Nadia refusait d’en dire plus sans être certaine qu’elle serait au bon endroit pour avoir ce qu’il lui faudrait. Elle avait déjà exposé une partie de son plan et rien que cela pouvait lui attirer des ennuis. Surtout que, techniquement, si jamais elle devait sortir son histoire d’Espagnole souhaitant fuir son pays, en aucun cas son voyage ne serait logique. Il était plus simple de rejoindre le territoire russe depuis l’Espagne que de faire un détour par le sol américain.
Lucia détailla la demoiselle devant elle, on aurait pu lui donner le bon dieu sans confession, mais elle savait que les apparences pouvaient être trompeuses. Son instinct animal lui disait de se méfier, elle n’était pas assez stupide pour le pas l’écouter. Pour autant, la jeune femme devant elle ne semblait pas avoir de mauvaises intentions. L’Italienne l’écouta exposer la raison de sa présence dans sa “boutique”, celle-ci ne concernait en rien son activité d’orfèvre mais plutôt celle de faussaire. Elle vit du coin de l’œil Blue ouvrir le bec, elle lui cloua avec deux doigts.
-Chiudi la bocca.
L’oiseau émit un son de protestation avant d’aller bouder sur son perchoir.
-Perfetto.
Son regard retourna sur sa potentielle cliente, elle sourit à ses paroles.
-Veuillez excuser l’emplumer, elle a tendance à être envahissante. Vous me brossez dans le sens des poils. Ce n'est pas réellement utile, vous savez.
Elle s’approcha de son bureau, elle prit un carnet et un crayon, pour noter ce qui lui fallait.
-Que vous faut-il ? Carte d’identité ? Passeport ? Autre chose ?
Lucia connaissait son travail, elle savait dans quel pays les contrôles étaient poussé et ceux où cela était plus light.
-Europe, vous me dites ? Ouest ou Est ? Ce n’est pas par curiosité, mais pour savoir à quoi doivent résister vos futurs papiers. Autant la première est relativement cool, autant passer les frontières de l’Est peut être relativement compliqué.
Lucia leva les yeux pour regarder la brune, d’accord, elle mettait les deux pieds dans le plat, mais c’était plus que nécessaire.
-Il va également me falloir quelques petites banalités, ainsi que vous prendre en photo, enfin, mon collègue va vous prendre en photo. Il est du même milieu que moi donc cela restera confidentiel.
Elle sortit de la pièce pour revenir quasiment aussitôt, elle tendit un papier à la jeune inconnue. Celui-ci ressemblait aux formulaires plus ou moins basique de demande de carte fidélité, mais comportait quelques subtilités permettant de réunir les informations nécessaires à sa double activité.
-Il sera broyé et brûlé dès que j’aurais fini, la photo sera également supprimée.
Elle ne souhaitait pas que les autorités mettent leur nez dans ses affaires et encore moins dans celles de ses clients. Elle écrivit un message sur son portable, elle venait de prévenir son photographe.
Nadia savait que cette rencontre serait quitte ou double pour elle, mais d’une nécessité absolue. Jusqu’à présent, la jeune femme avait dû redoubler de vigilance, guettant le moindre signe inquiétant quant à la possibilité qu’on la découvre et que la vérité éclate. Cependant, une fois cette affaire résolue, elle savait qu’elle pourrait agir plus sereinement, sans pour autant abaisser ses barrières. Encore fallait-il qu’elle s’assure de la fiabilité de son interlocutrice, qu’elle découvrait pour l’instant. Elle et son exotique compagnon de travail, qui attirait bien plus la méfiance de l’espionne. Il était déjà difficile pour Nadia d’accorder sa confiance à un être humain. Pourtant, il lui faudrait le faire afin d’avoir ce St Graal qui lui serait délivré prochainement. Lucia serait celle qui pourrait l’aider. Mais qu’en était-il de la confiance à accorder à un animal ? Et à un oiseau parlant qui plus est. Qu’importe ce qu’on pouvait lui dire, il serait lui serait difficile à accorder la moindre confiance à ce Blue. Encore plus en le voyant prêt à parler, sans forcément en recevoir l’ordre.
Voyant le perroquet se faire clouer le bec en un instant, l’hispano-russe préféra se concentrer sur celle qui lui apporterait son aide. Qui ne tarda d’ailleurs pas à montrer son efficacité, en rejoignant son bureau. Nadia n’avait pas réellement réagi face à la modestie dont Lucia avait fait preuve, sincère dans ce qu’elle avait dit. Brosser dans le sens du poil, ce n’était pas vraiment son genre. Sauf en mission, lorsqu’il lui fallait jouer les faux-semblants pour approcher sa cible. Mais dans cette situation, la jeune femme préférait éviter d’user de subterfuges, évitant ainsi de se mettre la faussaire à dos. Tout le travail reposerait sur elle et il devenait alors important de ne pas la froisser.
— Carte d’identité et passeport, c’est une certitude. Quant à la suite…
Nadia savait qu’il lui fallait bien plus, mais elle aurait alors que deux choix pouvant la mettre dans des impasses : s’enfoncer dans le mensonge ou alors révéler la vérité quant à ses origines. Deux choix qui la firent réfléchir, sachant ce que cela pourrait engendrer comme conséquence. Le mensonge était pourtant habituel chez elle, mais Nadia l’avait toujours utilisé avec intelligence et subtilité. Elle tirait ses mensonges de la réalité, n’concentrant jamais complètement pour s’offrir plus de crédibilité. Et ce fut cette pensée qui finit de la convaincre du choix à faire.
— J’aurais aussi besoin d’acte de naissance et de tous papiers pour être en règle aux yeux des différents gouvernements. Partez du principe que je ne possède aucun papier.
Même si l’espionne comptait sur l’aide qu’elle pourrait recevoir en retrouvant le Léviathan, il lui fallait assurer ses arrières en attendant et elle savait quelle carte jouer. La même que celle qu’elle sortait à l’époque, avec une légère variante que lui permettait ses récentes recherches.
— Europe de l’Ouest. L’Espagne pour être plus précise.
Venant ainsi aux formalités, Nadia avait préféré évoquer ce pays bien plus accueillant que pourrait l’être la Russie. Elle en était encore à ses études socio-politiques, afin de mieux découvrir l’évolution du monde après plus de soixante-dix ans, or les propos de Lucia lui confirmaient que mieux valait éviter d’évoquer ce pays où elle avait réellement grandi. Une information qui manqua de la faire sourire alors qu’elle ne pouvait qu’imaginer quelles tensions continuaient de perdurer entre l’Europe de l’Est et les Etats-Unis. Ils avaient beau avoir eut leurs alliances durant la Seconde Guerre Mondiale, tout cela n’avait finalement été qu’un nuage de fumée par la suite.
Son regard se porta brièvement sur le papier que lui avait tendu Lucia, pour mieux en examiner la demande. L’espionne se doutait qu’il lui faudrait donner certaines informations et, si dans un premier temps elle fut inquiète que l’on puisse la photographier, qu’on la prévienne que tout sera par la suite détruit la rassurait malgré tout. Nadia aurait eu horreur de penser que tout serait gardé, pouvant ainsi tomber dans les mains de quiconque s’infiltrerait ici ou à la moindre perquisition.
— Donc tout sera sécurisé et intraçable ? Rien ne nous ramènera l’une à l’autre en cas de problème ?
Nadia n’avait pas dans l’idée d’en avoir, mais bien préparée à faire face à toute situation, elle ne pouvait que l’anticiper. S’inquiéter pour les autres n’était pas dans sa nature, bien au contraire. Mais elle devait avouer que l’aide de Lucia était la première aide sérieuse qu’elle avait depuis son arrivée et elle ne pourrait l’oublier. Elle s’était d’ailleurs permise de s’installer à une table présente, tout en s’emparant d’un stylo pour remplir le fameux document. Les premières informations étaient simples et elle n’eut aucun mal à renseigner par ce qu’elle souhaitait représenter. Son nom était véritable, mais pour le reste, elle mettait ce qu’elle avait soigneusement préparé en amont. Une jeune femme à la date de naissance correspondant plus ou moins à son âge, sans pour autant s’avérer trop similaire à la vérité. Une origine hispanique qui lui permettrait de mieux justifier son départ pour ce pays qu’elle n’avait en réalité jamais visité, mais camouflant au mieux son origine russe. Telle était le mieux à faire pour officiellement s’éloigner du Léviathan et de quelconque organisation russe, mais qui lui permettait de mieux s’en rapprocher réellement.
Cependant, une des informations lui fut impossible à remplir. Là était la problématique de cette réalité bien plus avancée que la sienne, où Nadia se retrouvait face à des mots qui lui étaient inconnus malgré son éducation. Et si, habituellement, elle évitait d’y faire référence pour ne pas souligner cette différence temporelle, elle savait que, là, elle n’aurait pas le choix.
Ainsi, après avoir rempli la plupart du document, la brune le tendit à sa destinataire.
— Je pense vous avoir renseigné au mieux. Mais, excusez-moi si ma question peut paraître bête, qu’est-ce qu’un mail ? En quoi est-ce nécessaire sur des documents comme ceux que je vous demande ?
Nadia savait qu’avec cette question, soit il lui faudrait se livrer, soit il lui faudrait trouver un mensonge des plus acrobatiques pour s’en sortir. Mais pour ce faire, il lui fallait comprendre, sans quoi elle risquait de s’enfoncer dans un inconnu incontrôlable, ce qu’elle refusait par-dessus tout.
Lucia restait professionnelle, elle savait que c’était pour cela que les gens venaient la voir. Elle entendit frapper à la porte, elle alla ouvrir pour laisser entrer son collègue, elle échangea quelques mots en italien pour lui expliquer la situation. Tout aussi professionnel qu’elle, il prit le temps de placer la jeune femme dans la bonne lumière et prendre quelques clichés avant de la remercier et de quitter les lieux.
-D’accord pour l’Europe de l’Ouest.
Elle prit quand même la décision de renforcer la qualité, des fois, que la demoiselle face à elle veuille aller à l’est. Elle était habituée à ce qu’on ne lui dise pas tout et à vrai dire elle ne cherchait pas forcément à en savoir plus. Elle eut un petit sourire en entendant sa cliente demander si tout était sure et qu’aucun rapprochement ne serait fait entre elles.
-C’est parfaitement maîtrisé, d’où ce faux compte client. Aux yeux des autorités, vous serez une cliente de la boutique.
Elle eut soudain un mouvement d’arrêt lorsque la brune lui tendit le papier en posant une question simple, mais qui lui mit la puce à l’oreille : qu’est-ce qu’une adresse mail ? Elle avait entendu parler des voyageurs temporels, elle en avait aidé un ou deux à s’intégrer dans cette nouvelle vie.
-Vous n’êtes pas d’ici vous.
Elle atténua sa remarque d’un sourire en coin, sa cliente venait de l’aiguiller sur ce qu’elle devait lui fournir.
-Bon, on va faire un pack complet “nouvelle vie dans un nouveau monde”. Passeport, carte d’identité, compte en banque, adresse mail, numéro de portable, portable, assurance maladie, carte verte...
Elle énuméra à voix haute ce qu’elle devait préparer tout en le notant sur un carnet, soudain la voix nasillarde de Blue s’éleva.
-Acte de décès.
Elle s’arrêta la pointe de son stylo en l’air avant de regarder Nadia, pour une fois, le volatile marquait un point.
-En effet ! Bien joué Blue. Il va me falloir votre ancienne identité pour que je puisse éviter les questions gênantes vis-à-vis d’un éventuel doublon d’identité.
Lucia ne voulait pas s’immiscer dans la vie de sa cliente, elle souhaitait juste faire son travail le plus proprement et le plus professionnellement possible.
-Vous avez un travail ? Un logement ? Un moyen de locomotion ?
Elle souhaitait n’omettre aucun détail, elle avait passé le stade purement professionnel, elle voulait aider la demoiselle devant elle. Que tout soit parfait et qu’elle ne risque aucun problème avec les autorités.
Nadia savait qu’en se faisant faire de faux papiers, elle s’aventurait au-delà d’une limite qu’elle n’avait jusqu’alors jamais franchi. En soit, Nadia avait déjà utilisé des documents falsifiés, lui permettant de mettre en place son identité à New York. Mais des documents qui datait d’une autre époque, bien moins sophistiquée, et jamais de sa propre initiative. La jeune femme avait toujours agi sous le couvert du Léviathan, ce qui n’était pas le cas ce jour-là. C’était d’elle-même que l’espionne avait trouvé cette demoiselle, prête à l’aider, comme si sa demande n’était qu’une simple formalité. Une initiative que Nadia n’aimait pas avoir, préférant ne pas être à l’origine de la supercherie. Elle avait toujours usé de faux avec une certaine ligne à ne pas dépasser, préférant ainsi être maîtresse de son mensonge. Mais là, la situation était des plus exceptionnels et si l’idée de n’être personne dans ce monde était plaisante, la brune n’était pas idiote. Elle savait qu’elle serait bien vite limitée dans ses actions, alors il lui fallait franchir cette limite.
Cependant, elle ne voulait pas s’étendre sur ses réels plans. Nadia avait toujours appris à réduire au maximum le nombre de personnes pouvant potentiellement la trahir, en fragmentant les données. De plus, cela protégeait aussi ses alliés, qui ne pouvaient prétendre connaître l’entièreté de ses idées. La jeune femme gardait ses réflexes d’antan, ne sachant encore si elle aurait le soutien – ou non – attendue de l’autre côté de l’océan. Elle savait que la route serait longue jusqu’en Russie et qu’il serait peut-être plus simple d’évoquer sa destination finale pour lui permettre de raccourcir ce voyage, mais elle sentait que cette halte en Europe lui serait utile. L’hispanique était loin d’être bête et du peu qu’elle avait pu voir jusqu’à présent, elle comprenait l’étendue des changements. Et si le monde avait évolué ainsi au niveau de plusieurs domaines, qu’en était-il de la géopolitique qu’elle avait connu après la guerre ? Alors l’Espagne se devait d’être sa destination première pour se rendre compte de ces changements, loin de s’imaginer la révolution du monde. Elle était loin de retrouver ce qu’elle avait jadis connu.
Se laissant faire pour la prise de photo, Nadia se montra le plus naturel possible. Un jeu qu’elle maîtrisait à la perfection, alors qu’elle avait été formée pour se fondre dans le moindre décor. Un exercice qui ne dura pas longtemps, avant que son échange avec Lucia ne reprenne. Elle fut soulagée que celle-ci ne cherche pas à en savoir plus, ni même sur les raisons de sa démarche. À vrai dire, la jeune femme ne se voyait pas expliquer qu’elle venait d’un autre temps, alors qu’elle n’était pourtant pas la seule à avoir voyagé. Ainsi, elle écouta avec attention l’explication de la propriétaire des lieux, qui semblait aussi maîtriser cet art de dissimuler les informations. Sans réellement répondre, elle se contentait de hocher, montrant sa compréhension, bien qu’elle eût du mal à visualiser le concept de compte client, qui semblait propre à cette époque.
Elle tiqua tout de même lorsqu’il fut mis en évidence qu’elle n’était pas d’ici. Nadia aurait naïvement pu croire que Lucia faisait référence à ses origines natales, mais elle n’était pas dupe et avait compris que sa question avait mis en évidence une tout autre révélation. Et ce encore plus quand le perroquet évoqua l’acte de décès, après l’énumération complète de ce qu’elle recevrait. Une liste complexe dont Nadia connaissait une partie, mais dont le reste était la preuve de son manque de connaissance de cette époque. Si elle en restait impassible, son esprit n’en était pas pour autant au repos, faisant face à une évidence : il lui faudrait confier la réalité, ne pouvant risquer de s’enfoncer plus dans le mensonge.
— Vous avez raison, je ne suis pas d’ici, et tout ce que vous venez de dire me seront utile, notamment l’acte de décès.
Un papier auquel il est vrai, elle n’avait pas pensé. Pourtant, il restait essentiel alors qu’elle n’imaginait pas les interrogations qui pourraient se poser si l’on se demandait où était passé la Nadia Lluvia née dans les années 20. Une réflexion qui lui laissa tout de même une subtilité à envisager, alors qu’elle se laissa entendre que sa disparition pourrait laisser une marge de manœuvre au Léviathan, qui aurait certainement cherché à masquer son existence.
— Mais avant d’établir cet acte, il serait peut-être judicieux de s’assurer qu’il n’existe pas déjà. C’est en autre pour cela que je souhaite me rendre en Europe, afin de retrouver des archives.
Nadia hésita une seconde sur ce qu’elle pouvait révéler d’autres, avant de choisir de rester vaguement dans le flou.
— Mes employeurs ont pu mettre en place certaines démarches pour masquer ma « disparition ». Il faudrait éviter d’établir un quelconque document en double.
À vrai dire, Nadia n’avait jamais réfléchi à ce que pouvait faire le Léviathan si elle ne donnait plus de nouvelle. Sa seule référence pour quelqu’un ayant abandonné les rangs, était sa sœur et pour cette dernière, les actions avaient été les plus simples : l’élimination. Ce qu’au fond, Nadia ne savait si cela avait pu avoir lieu ou non.
N’ayant encore rien évoqué sur le reste de son identité, Nadia préféra se concentrer sur les dernières questions pour débuter, lui laissant ainsi le temps de faire le tri dans ce qu’elle pouvait dire et ce qu’elle devait impérativement taire, de par sa propre fonction. Comme sa mutation par exemple, qu’elle ne comptait évoquer pour l’heure, gardant ça pour elle. Tout comme le Léviathan qui restera simplement ses « employeurs ».
— Je n’ai rien de tout ça pour l’instant. Je n’ai pas encore pris le temps de me pencher là-dessus, pour diverses raisons. J’attendais d’avoir pu, peut-être, retrouver des repères que j’ai connu avant de prendre la moindre décision.
Une réalité que Nadia devait avouer. On avait beau l’avoir formé pour être un bon agent, prêt à se débrouiller seule, elle se sentait perdue sans les repères qu’elle avait jadis établis.
— Quant à mon ancienne identité, je vais essayer de vous donner au mieux, mais vous devez savoir que je ne pourrais pas tout vous révéler pour le bien de tout le monde.
La jeune femme avait pris la décision de prévenir son interlocutrice et d’être franche à ce sujet. Même si elle ne pouvait encore statuer sur une pleine confiance ou non envers la faussaire, Nadia avait décidé d’abaisser quelque peu sa méfiance envers Lucia qui était, pour l’instant, sa meilleure aide.
— J’ai essayé d’être au plus près de la vérité sur les documents que vous m’avez fait remplir. Je me suis toujours appelé Nadia Lluvia, mais à la différence que je suis née dans les années 20, à Kiev. Je préfère que cette partie soit oubliée au détriment de la nationalité de mon père. Les Etats Unis et l’URSS n’ont jamais été réellement alliés après tout. J’avais une sœur, qui elle n’a pas voyagé. Et il y a quelques années – de mon point de vue – j’ai migré aux Etats-Unis, officiellement pour fuir l’Espagne franquiste.
Un résumé très simple, mais Nadia avait du mal à rentrer dans les détails, que ce soit la trahison de sa cadette, leur mutation, ou même sa mission confiée par la Chambre Rouge. Elle sélectionnait alors les détails que lui donnait son identité de l’époque afin que le travail de Lucia puisse être cohérent avec ce que les autorités pouvaient avoir à son sujet. Car en soit, à moins d’accéder aux archives de la Chambre Rouge, il serait difficile de faire le lien entre elle et l’organisation soviétique. Par contre, ils avaient pu profiter des origines hispaniques de son père pour lui créer une identité de toute pièce et ainsi lui permettre d’établir sa couverture aux Etats-Unis, en compagnie d’un autre agent jouant son rôle de fiancé.
Sam 23 Avr 2022, 22:24 par Invité
