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Certes, les réponses de la jeune femme avaient de quoi perdre n'importe qui tant n'avait pas énormément de sens. Mais ça n'avait pas l'air d'en avoir pour elle-même non plus. Comment pouvait-elle expliquer quelque chose qu'elle ne comprenait pas ? Quand elle mentionna le fait qu'ils étaient passé devant chez elle il y a peu, le jeune homme eut pour réflexe de regarder autour de lui comme s'il allait se rendre compte de quel bâtiment il s'agissait. Et plus il y réfléchissait, plus il avait une énième et dernière hypothèse qui montait en lui et serait susceptible d'éclairer un peu plus cette histoire. Parce que ce que lui racontait la jeune femme lui parut familier mine de rien. Il se garda bien d'en dire d'avantage pour le moment. Rebecca était suffisamment bouleversée comme ça. Inutile de remuer le couteau dans la plaie. Mais la curiosité et l'intrigue de la situation étaient néanmoins fortes en lui. Il allait garder le reste de ses questions dans un coin de sa tête, dans l'espoir de pouvoir les ressortir au bon moment.
Alors il lui proposa à la place un lieu sûr où passer la nuit. Enfin, sûr de ce qu'il en disait. Mais il y avait peu de chance pour que la demoiselle considère que de suivre un type louche comme lui on ne sait où pouvait être qualifié de sûr ! Rien, absolument rien dans la situation actuelle de Rebecca ne pouvait lui inspirer confiance. Il faisait nuit noire, elle était seule, sans défense, affaiblit de chagrin dans les rues d'une cité dévastée avec un gars vêtu de noir au visage livide qui lui faisait face et lui proposait de l'emmener quelque part. Qui suivrait ça ? Qui de censé accepterait ? Aussi, Eric ne fut pas surpris que la jeune femme ne touche pas à la main tendue, et en vienne à l'interroger plutôt en retour. L'homme abaissa doucement cette dernière sans lâcher Rebecca du regard. Ah, question atrocement légitime.
- C'est vrai, admit-il, on ne se connaît pas. Mais faut-il vraiment une raison pour apporter son aide à autrui ?
Peut-être pour beaucoup de monde. Les gens aidaient et souvent espéraient même des retours. Ce n'était pas cela la véritable aide. Ce n'était pas une question de charité et de bonne action du moment. Pour Eric, ça avait toujours été très naturel. Shelly l'avait toujours beaucoup inspirée également. La main sur le coeur, cette femme s'était toujours tournée vers la veuve et l'orphelin, très désireuse de rendre le monde meilleur pour chacun. Le jeune homme soupira.
- Les rues de cette ville ne sont pas sûres, surtout de nuit...Je voulais simplement vous assurer un endroit plus sécuritaire. Vous ne méritez pas d'être malheureuse.
La réponse d’Eric déconcerta Rebecca. Fallait-il une raison pour aider autrui ? Eh bien, en théorie non, si l’on écoutait religieusement son catéchisme. Elle-même se savait guidée vers les autres par une forte empathie, raison pour laquelle elle s’était orientée vers les hôpitaux militaires. N’était-ce d’ailleurs pas le même sentiment qui avait poussé son frère, toutes ces années, à soutenir son meilleur ami, puis à s’engager ? Une pensée amère et fugace lui rappela qu’il y avait finalement laissé la vie. Enfin, Eric ne risquait pas grand chose avec elle, elle n’était pas bien dangereuse. C’était plutôt à elle de savoir comment elle l’évaluait. Le risque en valait-il la chandelle ?
La réponse était très simple: oui. Si on lui avait présenté la situation avant son grand saut, Rebecca aurait répondu fermement qu’elle ne suivrait jamais un inconnu rencontré la nuit à Brooklyn, mais c’était sans compter les jours éprouvants qu’elle venait de passer et, surtout, l’absence totale d’autre perspective. Si elle refusait de le suivre, qu’adviendrait-il d’elle? Elle continuerait d’errer jusqu’au petit matin, où elle trouverait un recoin pour somnoler quelques heures, avant de retourner grappiller un peu de nourriture et en espérant ne pas faire de trop mauvaises rencontres, ce qui finirait fatalement par lui arriver un jour, elle le savait très bien.
Eric lui offrait une chance de sortir de ce guêpier. Peut-être serait-ce pire, mais au moins, elle aurait essayé quelque chose plutôt que d’attendre lentement l’apocalypse. Rebecca inspira donc un grand coup, leva ses yeux humides vers l’homme qui la considérait toujours d’un air inquiet, réprima un dernier sanglot et se jeta dans la gueule du loup.
« Vous avez raison » dit-elle, sa voix ne trembla presque pas. « En quelques jours, j’ai oublié qu’on pouvait compter sur autrui. Je vous remercie de votre proposition, et je vais l’accepter. J’espère pouvoir vous retourner la faveur... un jour. »
Qu’il ne pense pas qu’elle était une ingrate. Elle ne précisa pas qu’elle ne se sentait qu’à moitié rassurer d’aller à l’encontre de tout son instinct et de toute son éducation. Son sauveur semblait être une personne intelligente capable de le comprendre par lui-même, et comme il le lui avait dit : elle allait devoir faire confiance.
Eric n'avait pas lâché la jeune femme des yeux, persuadé que cette dernière écouterait avant tout son instinct de survie qui l'empêcherait de se jeter la tête la première dans un quelconque piège. En tout cas, s'il avait été un proche de cette femme, il aurait voulu qu'elle refuse car le risque était beaucoup trop grand. Tout était question de point de vue en fin de compte. Seule Rebecca devait faire un choix désormais. Faire selon ses besoins, ou sa raison, ou son coeur, ou peu importe de quelle manière elle prendrait cette décision. Eric ne pouvait pas la convaincre qu'il ne lui ferait pas de mal, il n'avait aucune preuve pour le lui prouver. C'est pourquoi la réponse de la jeune femme vint à le surprendre. Certes, il était soulagé qu'elle accepte, qu'elle lui accorde une chance qu'il puisse la mettre à l'abri, la soutenir, l'aider. Mais il était étonné également. Mais d'un autre côté, cela ne faisait que montrer le fait qu'elle était désespérée au point de prendre ce risque.
- Ce ne sera pas nécessaire, assura t-il quand elle parla de dette.
C'était gentil de la part de Rebecca de vouloir lui rendre la pareille. Vraiment. Et c'était peut-être normal aussi. Mais à vrai dire, elle ne pouvait pas faire grand chose pour lui. Eric apportait son aide aux autres là où les autres ne pourraient jamais l'aider vraiment. Ce n'était pas faute de ne pas avoir besoin d'aide, mais c'était clairement hors compétence du commun des mortels. Cependant, Eric était touché de la confiance que lui offrit la jeune femme, aussi infime soit-elle. Il savait que cette confiance ne tenait qu'à un fil. Qu'il suffirait d'un rien pour qu'il la perde. Il fit alors signe à Rebecca de le suivre et quitta le quartier avec elle. Le Corbeau les survolait, alors que les deux jeunes gens longèrent des rues aussi sombres que sinistres. Eric maintenait une cadence relativement calme, autant pour permettre à Rebecca de suivre, que pour lui laisser le temps de se rétracter si son instinct de femme seule et sans défense reprenait le dessus.
Au bout d'un moment, à marcher dans la nuit noire, à traverser les allées et à éviter les silhouettes un peu trop lugubres qui traînaient dans les parages, le duo arriva dans le Bronx, et plus précisément devant cette vieille bâtisse à l'abandon depuis des années qui servait de repère au jeune homme. Ce n'était clairement pas un hôtel cinq étoiles et il espérait que la jeune femme ne se soit pas attendu à visiter une villa ce soir. Ce n'était qu'un lieu désolé, sale, vieux, aux murs écaillés, aux fenêtres condamnées, aux parois taguées. Absolument rien de rassurant, rien de réconfortant, rien de chaleureux. Son seul avantage était d'être vide, discret, oublié. La planque parfaite. Eric avait l'habitude de passer par la fenêtre brisée de l'étage pour se faufiler à l'intérieur, mais il comptait épargner à Rebecca une ascension douteuse. A l'aide de sa force accrue, ce ne fut pas difficile pour lui d'entrouvrir la porte du vieil appartement, qui grinça au passage sur ses gonds rouillés. Le Corbeau passa le premier dans l'ouverture, en guise de repérage, au cas où. Après quoi, Eric intima la jeune femme d'en faire autant d'un signe de tête. Bien conscient que ça n'avait rien d'engageant pour elle, il ajouta :
- L'endroit est sûr.
Elle pouvait, au pire, toujours faire marche arrière, revenir sur sa décision. Rien ne l'obligeait à entrer là-dedans.
Quand Eric lui avait proposé son aide, Rebecca ne s’était pas attendue à se retrouver dans un appartement luxueux de Manhattan. On n’errait pas dans les rues de Brooklyn en plein milieu de la nuit lorsque l’on était aisé. Elle se doutait que l’homme faisait partie d’une population plus nécessiteuse, ce qui rendait sa proposition de l’aider plus touchante. Mais elle avait espéré au moins un endroit... habité. Un petit studio abimé dans lequel on entendait les voisins, par exemple. Elle ne pensait pas à plus.
Il lui proposait... un manoir des horreurs. Le genre de scénario qu’on ne lisait que dans les mauvais romans de gare, et qui, selon le genre, se terminait soit en romance torride soit en enterrement. Bizarrement, cet endroit inspirait plutôt à la seconde fin. Toute désespérée qu’elle soit, Rebecca tenait tout de même à la vie. Mais comment dire non de façon polie ? Il risquait de se vexer si elle changeait d’avis, cela pouvait provoquer des gestes violents de sa part... Il fallait qu’elle trouve un prétexte, une excuse, quelque chose de légitime, qui ne risquerait pas de l’agacer... Son cerveau tournait à toute vitesse, mais à vide, pour trouver une solution, pendant qu’extérieurement, elle camouflait sa terreur en légère appréhension. Faute d’excuse, elle ne trouva pas d’autre choix que de le suivre, essayant de se rassurer en disant qu’elle trouverait bien une excuse à n’importe quel moment pour s’en aller... ca finirait bien par venir, par se caser dans la conversation...
« Je, euh... vous vivez tout seul ici », demanda-t-elle d’une voix incertaine en franchissant le seuil derrière lui.
Fallait-il qu’elle se sente contrainte par ses bonnes manières et son désespoir, se morigénait-elle intérieurement, pour oser franchir cette porte. Elle allait mourir ici, c’était sûr... Il fallait trouver un prétexte pour partir. Vite ! - lui hurlaient ses tripes.
C'était bien la première fois que l'homme daignait à faire entrer quelqu'un ici. Kobik ne comptait pas dans le sens où elle s'était invitée elle-même. Peut-être que ce n'était pas une bonne idée de confier l'existence de ce lieu à une inconnue. Mais elle en avait besoin et c'était tout ce qu'il avait retenu, n'ayant pas même réfléchi à d'éventuelles conséquences. Quand la porte fut ouverte cela dit, Rebecca n'y entra pas. Elle était visiblement inquiète en découvrant l'endroit et peut-être craignait-elle d'être tombé dans un piège, ce qui serait une pensée tout à fait censée de sa part. Eric n'avait rien de mieux à lui proposer malheureusement. Elle devrait faire avec ce qu'il avait : rien du tout. Il n'était qu'un squatteur ici, ce n'était pas son domicile. Mais elle aurait au moins de quoi s'abriter de la pluie et du vent.
Après hésitation, elle entra malgré tout. Eric n'avait plus espéré jusqu'à ce qu'il la voit finalement faire le pas qui lui fit franchir l'ouverture, un regard parcourant les lieux comme un animal pénétrant un abattoir. L'homme s'était avancé vers le milieu de la pièce, éclairé par les lumières extérieures qui parvenaient à passer par les fenêtres malgré leur état. L'endroit n'était pas bien grand. On pouvait aisément imaginé l'appartement qu'il avait été jadis, le séjour ici, une cuisine dans la pièce d'à côté, par ici la chambre et plus loin encore une salle de bain...Quelques meubles dans un état douteux se trouvaient encore ici, posé sur un plancher poussiéreux aux planches grinçantes. La seule chose qui paraissait neuve ici était la guitare du jeune homme qu'il avait ramené de son propre monde et qui avait trouvé sa place dans un coin de la pièce. Unique souvenir du passé et de là d'où il venait.
- Encore heureux, répondit-il alors, je ne souhaiterais à personne de vivre dans un tel endroit.
Le Corbeau alla se poser sur une commode surplombé d'un miroir brisé tandis que l'homme considéra un instant la jeune femme.
- J'espère que vous trouverez de quoi stabiliser votre vie, que vous ne fréquentiez pas ce lieu plus que nécessaire.
Il marque une pause, l'observant longuement, avant d'ajouter :
- Je sais que vous ne me croyez pas. Mais entre ces murs, aucun mal ne vous sera fait.
Puis, d'un signe de la main, il présenta une porte sur le côté en ajoutant :
- Si vous souhaitez jouir de solitude, cette pièce se présente comme une chambre.
Il savait qu’elle ne le croyait pas... Rebecca baissa les yeux, un peu honteuse malgré sa frayeur. « Je suis désolée » marmonna-t-elle si bas qu’elle n’était pas sûre qu’il l’entende. Elle ne voulait pas être impolie, mais peut-être comprenait-il son point de vue de femme seule... Elle ne savait pas si cela était étrange ou rassurant.
Eric n’eut pas besoin de le dire deux fois : lorsqu’il indiqua à Rebecca une pièce où elle pouvait se réfugier, elle n’hésita pas. Cachant soigneusement sa hâte de mettre un mur entre le reste du monde et elle, elle le remercia faiblement et se dirigea à petits pas vers la pièce qu’il venait de lui indiquer. Elle pris soin de ne pas se hâter - pas de geste brusque - mais, lorsqu’elle referma la porte branlante, elle ne pu retenir un soupir de soulagement. Elle resta appuyée ainsi un bon moment contre le chambrante, pendant que les battements de son cœur se calmaient.
Elle savait bien que cette porte n’était qu’une protection dérisoire, et que s’il voulait l’atteindre, il le pourrait, mais le simple fait qu’il le lui ait proposé la rassérénait un peu. Se promettant de ne pas dormir, elle se laissa glisser sur le sol et se roula en boule. Au moins, s’il voulait ouvrir la porte, son poids l’en empêcherait et elle aurait quelques secondes pour réagir. C’était toujours ça de pris. Elle essaya de détailler la pièce des yeux mais la pénombre n’aidait pas. Elle devait forcer, et elle était déjà fatiguée... si fatiguée... Elle bailla. Non, ne pas dormir. Ne pas...
Son clignement d’œil dura plusieurs heures, car lorsqu’elle rouvrit les paupières, la lumière du matin baignait la pièce. Rebecca eu vraiment du mal à émerger. Tout son corps la faisait souffrir, la position dans laquelle elle s’était avachie n’étant pas des plus confortables. Elle n’avait même pas eu conscience de s’endormir. La jeune femme pris un moment pour rassembler ses esprits et n’en cru pas à sa chance: il ne lui était rien arrivé ! A la lumière du jour, ses craintes de nuit lui paraissaient ridicules. Certes, elle avait eu raison de ne pas être rassurée, mais de là à imaginer le pire... Il lui allait falloir remercier son hôte, et s’excuser de ses doutes.
Elle se leva maladroitement, les jambes encore engourdies, et tenta de remettre un peu d’ordre dans sa tenue déjà bien abimée par ses jours d’errance. Elle ouvrit ensuite timidement la porte et rejoignit ce qu’elle considérait comme une partie commune.
« Bonjour » dit-elle d’une voix encore un peu hésitante. « J’espère que, euh... que vous allez bien. Je tenais à m’excuser pour hier soir, je n’ai pas été très polie au regard de votre gentillesse. Si je peux faire quelque chose pour vous... »
Elle s'excusa. Bien qu'il ne l'avait que peu entendu, il avait aisément deviné les paroles de la jeune femme. Il décida de ne pas y répondre. Cependant, il n'en voulait pas à la méfiance de la jeune femme. Il trouverait même ça étrange si cette dernière n'avait pas peur. Mais cette crainte suintait par tous les pores de sa peau tant et si bien que l'homme pouvait la sentir à des kilomètres. Une réaction tellement normale qu'il serait incapable de la blâmer dessus. Sitôt qu'il lui présenta une pièce à part qu'elle alla s'y réfugier. Eric avait suivit du regard cette silhouette aussi hésitante que avide d'être seule, jusqu'à ce que la porte ne se referme derrière elle, offrant la solitude à l'un comme à l'autre.
Finalement, il se détourna de la pièce. Ca n'allait pas être facile de faire comme si cette femme n'était pas là. Mais Eric avait cependant une autre femme bien plus importante pour occupé son esprit. Il s'éloigna vers la grande fenêtre brisée, observant les silhouettes noires des buildings d'en face. Un tableau déjà mille fois vu, de jour comme de nuit. Il allait devoir se passer de sortie nocturne cette fois-ci. Quoi qu'il en avait déjà eu une petite en rencontrant Rebecca. Cependant, pour s'assurer qu'elle resterait à l'abri de quoi que ce soit, il n'avait pas d'autre choix que de rester ici et jouer les gardiens des lieux.
La nuit était aussi longue que le jour quand il n'y avait rien pour s'occuper. Rien à part des pensées funestes. Le jeune homme s'était assis à l'angle du mur, au pied de la fenêtre pour contempler le ciel nocturne. Il y resta ainsi des heures et pouvait observer de seconde en seconde le changement de couleur lorsque l'aube prit peu à peu place sur la voûte céleste. De part sa nature, il n'avait nul besoin de dormir. Il ne ressentait aucune fatigue. Rien évidemment ne l'empêchait de fermer les yeux, mais cela n'apporterait rien à son organisme, à part des souvenirs douloureux qui le hantaient déjà suffisamment comme ça lorsqu'il était éveillé. Aussi, dans cette attente du temps qui passait pour le commun des mortels, il laissa son esprit vagabonder dans le passé, caressant doucement la bague de fiançailles à son doigt. A un moment donné, il la porta contre ses lèvres, fermant un instant les yeux. Qu'est-ce qu'il ne donnerait pas pour sentir à nouveau son parfum. Que ne donnerait-il pas pour glisser à nouveau sa main dans sa chevelure. Que ne donnerait-il pas pour entendre à nouveau sa voix...Et la douceur de sa peau, et l'éclat de son regard...
La voix de Rebecca lui fit rouvrir les yeux. Il n'avait pas fait attention à la porte grinçante qui s'était ouverte. Il avait totalement oublié l'écoulement du temps depuis qu'elle s'était enfermée dans cette pièce. Eric abaissa doucement sa main sans adresser un regard à celle qui était venu le rejoindre. Il n'avait pas oublié son invité du moment pour autant. Il ne tarda pas à tourner enfin les yeux vers elle et celle-ci visiblement était encore quelque peu méfiante vis à vis de lui.
- Ne vous excusez pas, finit-il par répondre, ce serait plutôt à moi de le faire. Vous devez sans doute mourir de faim et je n'ai rien pour vous.
De part sa nature...Il n'avait pas besoin de manger non plus et n'avait pas plus d'argent sur lui de toute façon pour acheter quelque chose à quelqu'un. Après, il serait sans doute facile pour lui de dérober de la nourriture. Mais c'était mal de voler.
La lumière n'arrangeait pas le teint de son hôte. A vrai dire, c'était peut-être encore pire que durant la nuit, où l'on pouvait mettre cela sur le compte de la mauvaise lumière où de la fatigue. Mais Rebecca ne fit aucune remarque. Ce n'était pas poli, et s'il vivait dans ces conditions depuis longtemps, on ne pouvait lui en vouloir de ne pas avoir bonne mine. Etrangement, il s'excusa de ne rien avoir à lui donner à manger. Effectivement, elle mourrait de faim, mais il n'avait pas l'air d'avoir plus de ressources qu'elle. Elle allait devoir ressortir et chercher où grapiller un peu de nourriture... elle commençait à avoir l'habitude.
"Je pourrais peut-être aller chercher quelque chose" proposa-t-elle alors.
Quoi, elle ne savait pas exactement. Attendre les pains brûlés près d'une boulangerie, peut-être, ou enfin se résoudre à trouver une charité pour demander de l'aide... elle y répugnait. Elle s'était toujours débrouillée, depuis son plus jeune âge, sans demander de l'aide. Mais alors, elle avait une maison et un frère. La situation n'avait, objectivement, jamais été aussi critique qu'aujourd'hui, même avec le poids mort que représentait leur père. Et si quémander était la seule façon de remercier son sauveur, alors elle devrait sans doute se résoudre à le faire.
Il lui demanda ensuite si elle s'était reposée. Vaste question. Le sommeil avait fini par l'emporter, et avec lui les émotions de la veille. Elle n'était plus aussi tendue, mais elle se sentait lasse. Cependant, il devait bien connaître ce sentiment, aussi Rebecca décida de ne pas s'étendre sur le sujet.
"Oui, je vous remercie. C'est la première fois depuis un moment que..." Elle s'interrompit, consciente qu'elle évoquait d'elle-même le sujet de son infortune, puis décida qu'elle lui devait bien un peu d'honnêteté. "...que je dors dans une pièce."
Elle aurait bien aimé lui demander depuis combien de temps il vivait là, mais elle avait peur de se montrer impolie.
Le regard de l'homme se retourna vers la fenêtre où désormais la lumière du jour faisait son entrée, éclairant la pièce au fur et à mesure que le soleil s'élevait dans le ciel, bien que la vieille bâtisse se trouvait encore un peu à l'ombre de buildings bien plus imposants.
- N'existe t-il pas de refuge ou d'organisme d'aide pour les personnes dans votre condition ?
New-York était une grande ville après tout. Qui avait, qui plus est, subit d'importants dégâts récemment qui avaient eut entraîné une perte de logement plus que conséquente. Où allaient donc tous ces gens qui ne savaient plus où vivre ? New-York avait l'air d'être une ville pleine de ressource, surtout dans ce futur. Rien à voir avec son Détroit des années 80 où la criminalité et la pauvreté menaient bon train. Il ne savait pas à vrai dire, il ne s'était jamais renseigné sur la question. Mais c'était de toute évidence ce dont Rebecca avait besoin. Il se tourna vers la jeune femme lorsqu'elle lui répondit. Oh, il n'en doutait pas un seul instant et il était ravi d'avoir pu lui apporter ce...confort. Aussi faible était-il.
- Dans ce cas, restez autant que nécessaire. Jusqu'à ce que vous trouviez enfin le foyer que vous méritez. Ici, c'est ni une maison, ni un quartier pour vous.
Les bas fonds du Bronx, c'est vrai qu'il valait mieux pour la jeune femme d'aller voir ailleurs pour sa sécurité. Il n'y avait rien pour elle ici et Eric comprenait aisément sa détresse. Mais au final, il ne pouvait pas lui offrir grand chose pour l'aider réellement et sur le long terme.
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Sam 23 Avr 2022, 22:24 par Invité