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La pluie n'avait cessé de tomber de toute la journée. Les averses n'étaient pas particulièrement imposantes, mais elles tombaient sur la cité de New-York comme la misère sur le pauvre monde. L'automne frappait à la porte de la ville. Pourtant, les journées restaient encore assez chaudes et ces pluies étaient peut-être plus appréciables qu'il n'y paraît. Assit sur le rebord de la vieille fenêtre brisé de l'appartement, Eric contemplait inlassablement les gouttes qui remplissaient les gouttières, écoutant l'éclat de l'eau sur les pavés plusieurs mètres en contrebas. Plusieurs flaques s'étaient formées et reflétaient le gris du ciel.
On disait de l'automne que c'était une saison mélancolique. Voilà qui n'allait pas arrangé le moral du jeune homme qui, d'un regard vague, avait laissé son esprit vagabonder dans le passé. Il n'avait pas besoin de l'automne pour se sentir mal. C'était déjà le cas depuis plusieurs mois. Depuis qu'il était coincé dans ce monde, incapable de rejoindre le sien et celle qui l'attendait dessous la tombe. Perchée sur la charpente, le Corbeau semblait somnoler, bercé par le chant de la pluie. Eric suivait sans doute, au son de l'eau. Mais à l'inverse de l'oiseau paisible, son esprit était tout sauf apaisé et serein. La vie loin de celle qu'on aimait était si douloureuse. Et hélas, les plus beaux souvenirs qu'il avait de Shelly n'étaient pas là pour le soulager, mais pour ne cesser de lui rappeler tout ce qu'il avait perdu à jamais.
L'automne. Comment oublier ce jour où Shelly et lui s'étaient rendu à une foire de campagne bourré de citrouilles où ils s'étaient laissé envahir par l'événement pour redevenir des gamins le temps de quelques heures ? Où cette soirée après un film au cinéma où ils avaient été surpris par une averse en rentrant à pieds chez eux. Ils étaient rentrés trempés. Mais ça les avait fait rire plus qu'autre chose. Shelly, de son rire cristallin, avait essoré sa veste sur le jeune rockeur pour la peine. Il se revoyait, essayant lors de leur premier halloween ensemble, à sculpter leur citrouille du mieux que possible. Shelly s'était révélée plus douée que lui au final. Pour se venger, il lui avait sali le visage avec des morceaux de citrouille juteux. Halloween aurait dû être l'un des plus beaux jours de leur vie. Ils avaient finalement convenu de cette date pour leur mariage prochain...
Eric pinça les lèvres qui s'étaient mise à trembler. Ce n'était pas des gouttes de pluie qui coulaient le long de ses joues alors que le sourire de sa belle prenait place dans son esprit. Elle venait de découvrir la bague qu'il venait de lui offrir. Le jeune homme sanglota, son gémissement couvert par le son de l'averse. "Veux-tu m'épouser ?" résonnait encore dans sa tête alors qu'il avait plaqué ses mains sur cette dernière, incapable de chasser le flux de ses pensées. Elle avait accepté avec un bonheur indescriptible. Ils auraient dû vivre la meilleure vie du monde. Il avait eut grande hâte de lui faire toutes les promesses d'amour dans l'église pour sceller son union avec elle une bonne fois pour toute.
Soudain, une voix retentit dans le vieil immeuble délabré. Eric eut un mouvement de surprise. Le Corbeau s'était tiré de sa rêverie. Quelqu'un venait d'entrer dans le bâtiment. Doucement, le jeune homme se leva, fixant la porte grinçante qui le séparait de la cage d'escalier. Est-ce qu'on venait de l'appeler ? Des pas approchaient. Le jeune homme restait immobile. Il n'y avait pas trente-six personnes qui connaissaient cet endroit et qui étaient capable de venir le voir. A vrai dire, il n'y en avait qu'une. Sa seule amie en ce monde.
- Kobik...? lança t-il, hasardeux.
Pourtant, il n'avait pas l'impression d'avoir entendu sa voix tout à l'heure.
PEGGY & ERIC ▬ rencontre inattendue d'un homme qui me ressemble bien trop de par sa mélancolie...
Nothing is trivial
C'est moi la plus proche de l'endroit où on a signalé à la NYPD une présence suspecte dans un bâtiment abandonné, c'est donc moi qui suis chargée de m'y rendre. Un signalement somme toute ordinaire, une silhouette aperçue par une fenêtre brisée, mais l'association d'aide aux sans-abris a déjà eu des ennuis avec quelques clochards un peu violents, alors maintenant ils appellent la police. Je ne sais pas si c'est mieux, considérant la précipitation avec laquelle certains -un trop grand nombre- de mes collègues ont tendance à dégainer leur arme de service et à tirer sur tout ce qui bouge, mais comme c'est moi qui suis envoyée, disons que le sans-abri devrait vivre au moins un jour de plus.
Malgré la pluie, je sors de mon véhicule de service sans m'encombrer d'un parapluie -le bâtiment n'est qu'à une dizaine de mètres de là où je viens de me garer, et si je devais effectivement maîtriser quelqu'un, ce sera plus facile si j'ai les mains libres.
Je détache la lanière de sécurité qui maintient mon arme dans son étui, à ma ceinture, et entre prudemment dans le bâtiment. L'homme a été vu au troisième étage, je cherche donc les escaliers, et les trouve rapidement. Un ancien immeuble d'habitation laissé à la ruine, encore un, alors que des centaines de new-yorkais se retrouvent à la rue faute de logement. Ca me met en colère, mais ce n'est ni l'endroit ni le moment de m'énerver contre une administration rongée par l'immobilisme et la corruption.
Arrivée au troisième étage, j'appelle une première fois, prudemment :
« Il y a quelqu'un ? »
J'attends une poignée de secondes qu'une autre voix se fasse entendre. Comme si l'homme qui se trouve là attendait quelqu'un d'autre, mais j'ignore qui. Je me dirige vers l'endroit d'où provient la voix, et pousse doucement la porte qui me paraît la plus à même de me mener vers celui que je cherche.
Effectivement, il est là. Son visage m'est vaguement familier, sans que je n'arrive à situer l'endroit où j'ai bien pu le croiser.
« Elizabeth Carter, NYPD, » je me présente en levant les deux mains devant moi pour lui montrer que je ne tiens pas mon revolver.
Pourquoi Elizabeth ? Pourquoi pas Margaret, ou Peggy ? Parce que je compte bien n'éveiller aucun soupçon concernant ma véritable identité, avec le SHIELD qui rôde. J'ai déjà eu suffisamment de mal à me défaire totalement de mon accent anglais, que j'entretenais pourtant avec fierté avant mon passage dans ce foutu portail...
« On m'a demandé de venir vous aider. Je peux entrer ? »
Toujours traiter les inconnus avec prudence et douceur, ça évite que la situation ne dégénère -je ne suis pas comme la majorité de mes collègues, à tirer d'abord et poser les questions ensuite. Pas quand on ne me menace pas directement, et l'homme qui me fait face ne me semble pas menaçant.
Eric n'avait pas choisi le quartier le plus malfamé de New-York pour rien. D'une part, niveau bâtisse abandonnée où il pourrait se cacher, c'était un véritable élevage. Il n'avait eut que l'embarras du choix pour déterminer son abri de fortune. Il n'avait pas besoin de plus. Juste des murs pour le dissimuler des regards et un toit pour éviter que la météo ne le dérange trop. Quand il était revenu d'entre les morts dans son monde d'origine, il s'était réfugié là où il avait vécu avec Shelly : leur appartement qui avait été laissé à l'abandon après leur meurtre. Il n'y avait pas vécu seul. Gabriel, le chat blanc qu'il avait adopté pour offrir à l'anniversaire de Shelly lui avait tenu compagnie. En dehors de ça, le Bronx était aussi un quartier réputé pour ses fréquentations des plus douteuses. Quitte à chasser les rats, autant vivre non loin d'eux après tout. Ca lui épargnait le besoin de les chercher trop loin. Parfois, il n'avait qu'à tendre l'oreille depuis sa fenêtre pour entendre une femme hurler alors qu'elle était sur le point d'être violée. L'écho passait bien dans les ruelles étroites des mauvais quartiers.
Eric plissa le regard quand la porte qu'il surveillait pivota doucement sur ses gonds. Malgré la faible clarté des lieux, il se rendit rapidement compte que ce n'était pas du tout Kobik. Point d'enfant devant lui. C'était une femme adulte. Comment diable s'était-elle retrouvée dans un endroit aussi isolé ? Le Corbeau observait l'inconnue du haut de son perchoir. Eric la toisait silencieusement. Sa façon de se vêtir et son attitude lui faisait clairement comprendre qu'elle n'était ni clochard, ni égarée. Elle n'était pas ici par hasard et il avait même l'impression que c'était lui précisément qu'elle cherchait. Kobik l'aurait-elle trahi ? Non, impossible. Pourtant, la jeune femme se présenta et Eric se demandait encore si c'était une bonne ou une mauvaise chose. Eric pencha légèrement la tête sur le côté alors qu'elle levait les mains en l'air. Une minute...Ce visage lui parlait légèrement. Il l'avait probablement aperçut vite fait dans la rue une nuit peut-être ? Mais pourquoi ça l'aurait marqué ? Non, il y avait autre chose.
Ce n'était pas le cas apparemment. Elle parlait d'aide. D'aide ? Quelle drôle d'idée ! Et ce "on" qu'elle mentionnait, qui ça pouvait bien être ? Personne n'était censé connaître son existence en ce monde. Enfin, personne à part Kobik et jamais elle n'aurait parlé de lui à qui que ce soit. D'un geste vague du bras, il lui fit signe d'entrer tout en lui répondant :
- Entrer, vous le pouvez. Mais je n'ai nullement besoin d'aide. Qui vous envoi ?
Eric n'était pas quelqu'un de craintif. Mais il était intrigué et quelque peu déconcerté. L'idée aussi d'avoir une personne servant la justice de ce monde n'était pas pour le rassurer. Il savait très bien que ses agissements étaient mal et il se demandait si cette dernière était au courant et cherchait simplement à lui tendre un piège. D'où le fait qu'il ne la lâchait pas du regard et gardait ses distances. Oh il n'avait pas peur d'elle. Il ne craignait rien que puisse faire la police contre lui. Mais s'il pouvait éviter de finir comme une bête traquée jour et nuit, ça l'arrangerait.
- Vous êtes trempée, finit-il par remarqué néanmoins, je n'ai pas grand chose à vous proposer pour ça mais vous pouvez utiliser ce plaid pour vous sécher si vous le voulez.
Il désigna, sur le vieux sofa mité qui traînait dans un coin de la pièce, la dite couverture qui devait dater comme le meuble.
- Sinon vous allez attraper la mort, ajouta t-il d'un ton quelque peu plus confiant.
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Menaçant, non, il a plutôt l'air surpris que je l'aie trouvé. Et inquiet ? Un peu, je crois.
« Non, je ne suis pas venue vous arrêter, » je le rassure en gardant une expression parfaitement neutre, gardant les deux mains en l'air.
Puisqu'il m'invite à entrer, je m'exécute lentement et prudemment, cherchant où est ce que j'ai déjà vu son visage, parce qu'il a un air familier sans l'être, et je déteste quand je n'arrive pas à resituer quelqu'un dans un autre contexte. Ca m'arrive tout le temps quand je regarde des séries -il faut bien que je me fonde dans la masse, alors j'ai, sur les conseils de Tony, pris un abonnement sur une plateforme de visionnage de films et séries en ligne-, et je n'arrive en général pas à continuer sans chercher le nom de l'acteur et de retrouver où je l'ai déjà vu. Sauf que là, nous sommes dans la vie réelle, et que je ne peux pas chercher son nom sur Wikipédia.
« Une association d'aide aux sans-abris vous a vu à travers la fenêtre, ils ont demandé à la police de venir voir parce qu'ils ont eu des altercations par le passé avec d'autres sans-abris. Ils peuvent vous aider à trouver un logement un peu plus décent que cet immeuble... en sale état, » j'ajoute après avoir jeté un coup d'oeil circulaire autour de la pièce.
Question confort, on repassera... Sans parler de l'air glacial qui s'engouffre par une fenêtre pour ressortir par l'autre, de l'humidité qui suinte des murs, et des odeurs de moisi qui montent du parquet.
« Je crois que je vais m'en passer, merci, » je réponds quand il me désigne une couverture mitée dans laquelle il me propose de me sécher. « Je ne vais pas tomber malade pour si peu, ma veste est imperméable, ne vous inquiétez pas pour moi. »
Je relâche mes mains parce que je n'ai pas envie d'avoir des crampes à force de les tenir en l'air, et adopte une posture un peu plus décontractée. S'il ne m'a pas déjà attaquée, j'estime qu'il n'est pas agressif, donc il n'y a pas de raison pour que je reste sur la défensive.
« Je ne suis pas venue ici pour vous piéger, » je reprends d'une voix que j'espère apaisante. « L'association qui a contacté la NYPD peut vraiment vous aider, monsieur... monsieur ? »
Cette femme avait l'air sincère. Eric choisit de la croire. Elle n'était donc pas là pour lui passer les menottes. En revanche, elle était tout de même ici pour lui et ça, elle ne parviendra pas à lui faire croire le contraire. Enfin, tant qu'elle ne cherchait pas à le nuire, il n'avait pas tellement à s'en faire. Néanmoins, il restait toujours aussi intrigué par la situation. Faut dire que de l'aide, s'il en avait effectivement besoin, il ne s'agissait pas d'une aide que cette personne serait en mesure de lui fournir. A moins qu'elle connaisse un portail dimensionnel menant jusque dans un Détroit des années 80 ! Puis, la jeune femme donna plus de détail sur ce qui l'amena ici. Eric ne put s'empêcher d'afficher un doux sourire devant cette attention qu'on lui offrait. Les sans-abris avaient apparemment une petite chance dans ce monde, ça faisait vraiment plaisir à voir. Ca lui rappelait Sherry, cette pauvre gamine qu'il avait croisé dans la rue de son Détroit, vivant dans un logis insalubre avec une mère droguée. Il avait pris quelques minutes pour s'asseoir à côté d'elle et lui parler pour l'aider à garder courage. Elle n'avait pas eut peur de lui malgré son visage maquillé, au contraire elle espérait encore à l'heure actuelle son retour. Un retour qu'elle ne verra probablement jamais.
- Je remercie cette association de se soucier du sort des malheureux que le bonheur semble avoir abandonné, commença t-il doucement, qu'elle garde ses places libres pour ceux qui sont réellement dans le besoin. Tout ira bien pour moi.
Oui, il pouvait sans doute se considérer comme un sans-abri. Mais contrairement à d'autres, il ne risquait pas de mourir de froid, ou de faim, ou de tomber malade. Il n'était qu'un mort déambulant dans les rues quand le voile de la nuit s'étalait sur la cité. A part une tombe, rien ne méritait d'être son abri. Il nota l'attitude de la jeune femme alors qu'elle observait les lieux. Mouais, elle n'avait sans doute pas été convaincu par les mots de l'homme. Ce vieil appartement devait avoir pas mal d'années d'abandon à son actif. Ce n'était qu'une ruine avec encore un ou deux meubles qui tenaient debout. La seule chose de neuve qui s'y trouvait était la guitare que le jeune homme avait ramené de son propre monde. Seul souvenir de son vivant avec la bague de fiançailles de Shelly qu'il avait réussit à récupérer.
Il respecta le choix de la jeune femme d'un signe de tête quand elle refusa d'user du tissu pour se sécher. Comment la blâmer ? Ce plaid donnait autant envie de s'enrouler dedans que de manger par terre. Il s'étonna d'entendre la dénommée Elizabeth lui assurer qu'elle ne lui tendait pas de piège. Avait-elle deviner ses précédents doutes ? Il s'apprêta alors à lui confirmer une nouvelle fois qu'il n'avait pas besoin d'aide mais aux derniers mots de la jeune femme, se rendit compte qu'il avait cruellement manqué à toutes les politesses et s'empressa de répondre pour rattraper ce soudain retard, s'inclinant légèrement en guise de salutation :
- Draven. Eric Draven.
Il ne prenait pas la peine de cacher ce nom. Pourquoi ? Il n'était qu'un étranger dans ce monde, et un mort dans l'autre. Ce n'était pas comme s'il risquait beaucoup à se dévoiler.
- Je ne doute pas des ressources de cette association, mais je suis persuadé que d'autres en ont plus besoin que moi.
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Sa réaction quand je lui propose de profiter des services d'une association d'aide aux sans-abris me laisse un peu comme deux ronds de flan. Comment ça, des gens qui en ont « plus besoin que lui » ? Il ne se considère pas dans le besoin alors qu'il est obligé de squatter -je n'ai pas d'autre mot étant donné l'état de l'appartement dans lequel nous nous trouvons- un immeuble abandonné ?
« Sans vouloir vous offenser ou vous manquer de respect, je doute que vous n'ayez pas besoin d'aide... Certes, vous avez un toit provisoire sur la tête, mais le confort et l'isolation laissent à désirer, et c'est sans compter le fait que cet immeuble sera démoli un jour ou l'autre... Que ferez-vous alors ? »
Je m'inquiète pour lui alors que je viens à peine de le rencontrer, c'est typique de moi ça... Il me rappelle un peu Steve quelque part, avant qu'on lui injecte le sérum... Maigre, faible même, un peu perdu au milieu du camp de formation de l'armée, mais déjà décidé à faire passer les autres avant lui, peu importe les conséquences.
Je sursaute légèrement quand mon interlocuteur me tend la main, me sortant un peu brusquement de mes pensées, mais la serre en souriant d'un air que j'espère rassurant.
« Enchantée, Eric -je peux vous appeler Eric ? »
S'il préfère que je m'adresse à lui comme « monsieur Draven », ça me va aussi, après tout j'appelle bien le sergent Barnes par son prénom depuis que je me suis retrouvée dans ce monde. La distance et les politesses qui étaient de rigueur dans les années 1940 ne sont, semble-t-il, plus d'actualité depuis longtemps... et si j'ai eu du mal à m'y faire, aujourd'hui je l'ai accepté.
« Ce n'est pas parce que d'autres ont peut-être plus besoin d'aide que vous que vous devez refuser, » je réponds doucement. « Tout comme ce n'est pas parce qu'il y a aux urgence quelqu'un avec une balle dans l'abdomen qu'on refusera quelqu'un qui s'est cassé le bras... Pourquoi refusez-vous cette aide ? »
Eric se mit à observer autour de lui aux mots de la jeune femme. Quelqu'un prendra t-il vraiment la peine de s'occuper de ces immeubles délabrés qui régnaient dans le Bronx ? Le jeune homme en doutait, mais il n'avait pas envie de contredire l'autorité qui lui faisait face et qui devait en savoir bien plus que lui sur la ville dans son ensemble. Il était assez gêné. Comment faire comprendre à cette femme qu'il n'avait nul besoin d'une quelconque aide ou soutien ? S'il lui disait la vérité, il était bon pour l'hôpital psychiatrique et on lui demandera sans doute pas son avis. Son regard revint sur elle. Les lignes encore humide de ses joues ne le mettaient pas tellement dans son avantage mais il répondit néanmoins avec assurance :
- Ma présence ici n'est que temporaire.
Du moins, il essayait de s'en convaincre lui-même. Un jour, il rentrera dans son monde. Il le fallait...Kobik avait promis de l'aider à y parvenir. Avant de poursuivre cette conversation, il semblerait que des présentations s'imposent. Ca ne gênait nullement le jeune homme qui s'empressa de coller une identité à son visage.
- Je vous en prie, répondit-il pour autoriser la jeune femme à le nommer directement par son prénom.
Elle pourrait même le tutoyer que ça ne le perturberait pas le moins du monde. Mais elle était sans doute trop professionnelle pour ça. Elle se trouvait ici pour sa mission après tout. Il sourit à la comparaison qu'elle fit alors qu'elle insista à nouveau en espérant qu'il accepte l'aide de cette association. Quelle ténacité ! Mais on soignera toujours celui qui a reçut une balle et dont la vie est en danger. Celui qui s'est cassé le bras n'avait pas ses jours de compter. L'homme ne lui répondit pas tout de suite, se décalant pour aller se poser dans le vieux sofa miteux.
- Parce que, croyez-le, je n'en ai pas besoin.
Ce ne serait que des ressources de gâcher que d'essayer de lui donner ne serait-ce qu'un paquet de mouchoir en vue de l'hiver approchant.
- Je comprends votre ressenti, poursuivit-il.
Il n'avait pas besoin de ses pouvoirs pour voir ce qu'elle pensait de tout ça.
- Je ne vous blâme pas de ne pas me croire. Vous ne faites que votre boulot après tout. Vous êtes dévouée. La ville peut être fière de vous avoir. Mais je vous le dis...
Son visage s'assombrit légèrement.
- La seule chose qui pourrait me faire envisager d'accepter une telle offre serait de voir avant tout la misère de cette ville enfin guérie.
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Il regarde autour de lui quand je lui parle de la destruction potentielle de l'immeuble, mais à cet argument, oppose celui de la temporalité de son passage. Dans cet immeuble en particulier, ou dans la ville de New York ?
« Vous n'êtes pas d'ici ? » je demande en penchant légèrement la tête de côté, curieuse.
Avec le nombre d'immigrés à New York, sans parler de tous ceux qui sont passés à travers les portails et que le SHIELD recherche, ça ne m'étonnerait pas... Peut-être cherche-t-il à fuir les Etats Unis ? Ou à s'aventurer plus profond au coeur du pays ? Ou peut-être est-il comme moi, un déplacé temporel qui souhaite plus que tout revenir à son époque, dans son monde... Je secoue imperceptiblement la tête. Ce n'est pas le moment de faire de la projection, Peggy.
Je l'observe en relâchant la tension dans mes épaules quand il part s'installer dans le canapé miteux. Comment peut-il dire qu'il n'a pas besoin d'aide alors qu'il vit dans un appartement délabré, plein de courants d'air et de meubles rongés aux mites, dans un immeuble abandonné depuis un certain nombre d'années ?
« Pourquoi pensez-vous que vous n'en avez pas besoin ? » je demande d'une voix douce et sincèrement curieuse.
Je baisse un instant les yeux quand il me complimente sur ma dévotion. Elle n'est pas innocente, elle me permet simplement de limiter le temps où mon esprit gamberge et songe à tout ce que j'ai perdu en me laissant entraîner dans ce portail... Daniel, Edwin, Howard, Angie... Ils me manquent terriblement, et si je suis d'un côté heureuse de voir que Steve est heureux, j'aurais égoïstement préféré que nos retrouvailles ne durent qu'un temps et qu'il ne m'entraîne pas -malgré lui- dans un futur qui n'est pas le mien.
« La misère ne se guérit pas d'un coup de baguette magique, » je réponds dans un soupir. « Croyez-moi, si c'était le cas, j'aurais déjà fait en sorte qu'elle n'existe plus nulle part sur la planète... »
J'ai vu des images de famines, de guerre et de sécheresses qui m'ont plongée dans un état de tristesse et de colère mêlées plusieurs dizaines de jours, quand j'ai commencé à savoir me servir d'un ordinateur et que je cherchais à en apprendre le plus possible sur l'époque dans laquelle j'étais tombée. Certains jettent les trois quarts de ce qui leur est proposé à manger alors que d'autres n'ont même pas de quoi acheter une miche de pain...
Si l'immeuble était détruit avant qu'il ne s'en aille, tant pis. Il en trouvera bien un autre, ou une quelconque planque où il pourrait être à l'abri des regards et des représailles. Il pensait que celle-ci serait suffisante. Mais avec l'arrivée de cette femme, il sut qu'il avait été grillé. En plus, elle était des forces de l'ordre. Si elle venait à avoir vent de ses activités nocturne, elle saurait où le dénicher pour l'attraper. Peut-être serait-il plus prudent de changer de cachette...Mais Kobik ne pourrait pas le retrouver s'il le faisait.
- Non en effet. Je viens de...D'un peu plus loin.
Même sa ville natale, Détroit, n'était plus la même dans ce monde là où le temps avait fait un bon entre son époque et celle-ci. Les nouvelles technologies lui était complétement inconnues et bon nombre de choses étaient différentes comme l'aspect des voitures, les musiques en vogues ou les looks à la mode. Il avait cru comprendre avoir sauté au moins trente ou quarante ans dans le futur. Ce n'était pas anodin mine de rien. Il n'était pas difficile pour lui de voir dans l'expression de la jeune femme qu'elle avait bien du mal à avaler l'idée qu'il n'avait pas besoin d'aide. Certes, il avait froid, ce n'était pas le top du confort, c'était humide, vieux et moche. Soit. Pourtant, ça lui convenait. Il se réjouissait déjà d'avoir de quoi éviter la pluie sur la tête. A la question de la jeune femme, il ne put s'empêcher de pouffer.
- Vous êtes coriace n'est-ce pas ? fit-il avec amusement.
Il ne savait pas trop comment lui expliquer la chose. Il ne pouvait pas prétendre ne pas avoir besoin de se nourrir, de boire, d'être à l'abri des maladies et même de la mort. Cette situation lui parut véritablement délicate.
- Oh je le sais bien malheureusement.
Même lui, chaque fois qu'il ôtait une vie immonde de cette ville autant qu'il l'avait fait dans la sienne, il avait l'impression que dix de plus débarquaient pour recommencer les mêmes horreurs. Peut-être qu'il n'y avait tout simplement aucun moyen pour obtenir un monde de paix et de prospérité. Mais ça ne l'empêchera jamais de se battre pour ça et sans doute qu'il en était de même pour les personnes dévouées telles que cette femme.
- Je vous en prie, ne vous inquiétez pas pour moi.
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D'un peu plus loin ? Du TriState Area, ou d'encore plus loin ? Je me demande même s'il n'est pas de beaucoup plus loin, s'il n'a pas comme moi franchi l'un des portails qui se sont ouverts entre les mondes... Sinon, il m'aurait répondu avec plus de précision, non ?
« Je ne suis pas d'ici non plus, » je réponds prudemment. « Je viens de... enfin disons que je ne suis pas arrivée ici de ma propre initiative. »
Et que j'aurais préféré rester à l'époque où je me trouvais, malgré les difficultés et les injustices qui sont encore plus flagrantes et violentes qu'au temps où j'ai atterri. Mais la vie, le hasard, le destin en ont décidé autrement, et je me retrouve là. A être flic, alors que nous commencions avec Howard à poser les bases du SHIELD -qui existe aussi ici, ce qui est à la fois rassurant et étrange, même si celui-là cherche à me capturer. Enfin.
Son léger rire me tire un demi sourire, et je réponds en hochant la tête :
« Plus têtue qu'un troupeau de mules, c'est ce que mon chef répète régulièrement à mon sujet, oui. Je ne suis pas du genre à lâcher le morceau sans avoir été convaincue, » j'ajoute en me faisant plus sérieuse.
Je veux vraiment comprendre pourquoi il refuse de l'aide. Et un policier moins bien luné que moi l'aurait déjà traîné dehors par la peau du cou et jeté dans une cellule pour occupation illégale d'un lieu privé, alors... j'estime avoir droit à une vraie réponse.
« Ca fait partie de mon caractère, de m'inquiéter pour les gens, » je réponds d'une voix douce. « Je ne peux pas ne pas m'inquiéter pour vous quand je vois dans quel endroit vous vivez... Endroit que vous allez devoir quitter, si vous ne voulez pas que des collègues à moi viennent vous en sortir pour vous mettre en cellule, » j'ajoute dans un soupir. « Parce que si je vous laisse ici, la prochaine fois qu'une association vous verra, elle appellera de nouveau le 911 et ça ne sera peut-être pas moi qui viendrai. »
Le regard de l'homme resta un moment concentré sur la jeune femme quand elle reconnue ne pas venir d'ici. Il ne savait pas trop pourquoi, mais il avait l'impression que cette information n'était pas anodine. Elle avait été hésitante sur un point, celui de son endroit de départ. Sa façon de lui dire cela sonnait étrangement, comme si elle souhaitait confier quelque chose sans vraiment savoir si elle le devait ou non.
- Vous avez été muté ici ? hasarda t-il en toisant la demoiselle avec attention comme pour capter la moindre trace d'expression qui pourrait lui donner plus de détail sur là où elle voulait en venir.
Eric garda le sourire à sa réplique. Ca allait être difficile de la convaincre dans ce cas là. Il n'avait pas vraiment d'argument adéquates à lui offrir pour qu'elle le laisse tranquille. Mais elle ne pouvait tout de même pas le forcer à bouger de là si ? A vrai dire, si sa présence dans ce bâtiment était interdite pour des questions de violation de propriété ou un truc du genre, ce serait compréhensible et Eric devra mettre plus tôt que prévu son projet de se trouver une autre planque.
- Vous êtes une bonne personne, commença t-il.
Il se redressa légèrement sur le divan miteux, s'accoudant à ses genoux un moment en observant vaguement devant lui, songeur à ce que la femme venait de lui dire. Il avait donc vu juste. Il n'avait pas le droit de rester en ces lieux, qu'il veuille de l'aide ou non. Il allait devoir chercher ailleurs et se montrer d'avantage discret pour éviter que n'importe qui puisse le voir. C'était la base même d'une bonne planque et il pensait vraiment que celle-ci aurait pu faire l'affaire. Mais bon, tant pis. Il y en avait sans doute beaucoup d'autres. New-York était immense.
- Je voulais simplement rester seul, soupira t-il, je n'ai aucune existence pour les gens de ce monde et mieux vaut qu'il en reste ainsi.
Il leva finalement avant de se tourner vers elle et de faire quelques pas. Il posa sa main sur son visage, la laissant glisser lentement, ses doigts suivant les courbes de son visage et les lignes noires tracées au-dessus et au-dessous de ses yeux tout en ajoutant :
- Vous pensez vraiment qu'un individu tel que moi a sa place ailleurs que dans l'ombre ?
Il baissa les yeux vers cette même main comme si elle contenait la réponse, avant de relever son regard vers la jeune femme.
- J'aime autant me tenir éloigner du commun des mortels.
Sam 23 Avr 2022, 22:24 par Invité
