Il était temps qu'ils repartent. Vraiment. Après plus d'un an dans cette Amérique post-seconde guerre mondiale, et presque tout autant à chasser les ennemis qu'ils avaient eux-mêmes ramenés de leur voyage insensé, le moment était venu de rebrousser chemin. Durant cette période qui aurait dû leur permettre de sauver le monde - voire l'univers - de la menace de Thanos, la jeune femme avait pourtant cherché un répit. Dissimulée sous le costume de Burns & Roses créé par Tony, plutôt en retrait des autres « héros » et le plus souvent à passer la serpillère ou à offrir de grands sourires aux clients de l'épicerie, elle avait réalisé que plus le temps passait, moins elle parvenait à s'impliquer dans la mission qui leur avait été confiée. Le coup de grâce avait certainement été lorsque Rogers et Stark leur avaient annoncé la dissolution des Avengers. Jusqu'à ce que le couperet tombe, elle n'avait pas réalisé à quel point elle s'était attachée à ce groupe hétéroclite aux membres chacun brisés à sa façon. Ils étaient ce qui se rapprochait le plus d'une famille, elle qui avait perdu la sienne dans cette guerre. Et voilà que tout s'arrêtait. Qu'on lui enlevait ses derniers repères. Qu'ils étaient voués à se séparer à court terme, chacune suivant sa propre voie ... Jusqu'à ce que les planètes se réalignent et qu'une solution soit trouvée pour entamer le voyage retour.

La sensation avait beau être familière, elle n'en était pas agréable pour autant. En entrant dans le halo bleu censé les ramener à leur époque, Liz eut l'impression que toutes ses pensées s'embrouillaient et qu'on la propulsait contre son gré vers un vide invisible et indicible. Heureusement, cela ne dura pas bien longtemps. En l'espace de quelques erratiques battements de cœur, elle put rouvrir les yeux et fouler du pied le sol dur de ... La Terre ?! « Pas ça ... » Tout comme elle, ses compagnons paraissaient sous le choc. Devant eux, derrière eux, tout autour, il s'agissait bien de Time Square. Ou du moins, de ses ruines. Un paysage de désolation et de dévastation qui lui paraissait encore pire que celui qu'ils avaient laissé derrière eux. Qu'avaient-ils fait ? Ou plutôt, que n'avaient-ils pas fait ? Elle se sentit avancer, comme ivre, tanguant et manquant de trébucher. Ses yeux n'étaient plus que deux billes grandes ouvertes, peinant à affronter la réalité. « Non, non, non, non ... » Sa tête virevoltait en tous sens, cherchant à se raccrocher à n'importe quoi, le moindre élément, qui contredirait cette vision consternante. Finalement, son regard accrocha ce qui ressemblait à une affiche. Une très, trop grande affiche. Les deux mots qu'elle y lut la firent pâlir un peu plus. « NON. » Un véritable cri de désespoir, cette fois. Il se réverbéra aux alentours, s'amplifia à mesure qu'elle refusait de se taire et surtout, qu'elle s'embrasait toute entière. Littéralement. Hors de contrôle, son esprit et son corps se rebiffaient contre cette phrase, celle qu'elle avait espéré ne jamais revoir de toute son existence. Heil Hydra. Bon retour à la maison, Elizabeth.

Ces deux mots, imprimés à l'encre paraissant indélébile, bien que ternis par les horreurs qui avaient dû avoir lieu, étaient parmi les pires que la jeune femme aurait pu désespérer lire de retour dans ce qui devait être leur présent. A eux seuls, ils suffisaient à faire s'écrouler la petite étincelle d'espoir qu'elle avait eu la bêtise de ressentir lorsqu'ils avaient passé le portail. A eux seuls, ils représentaient tout un passé traumatique, des réminiscences douloureuses, dont elle avait mis des années à se défaire. A eux seuls, ils étaient cette apocalypse qu'ils avaient vécu, combattu et craint. Pour Elizabeth, ils étaient pire - oui, à ce point - que ce fou-furieux sociopathes de Thanos. Heil Hydra. Son enfer personnel, la toile inextricable dans laquelle elle était tombée et qui, sans Rogers et consorts, ne l'aurait jamais libéré.

Et voilà que l'Organisation la narguait, en lettres écarlates, sous fond d'un Manhattan désolé, dévasté.

Il n'était donc pas étonnant, en tout cas pour son esprit déjà largement déstabilisé, qu'elle se laisse à son tour ravager par ce qu'elle avait sous les yeux. D'aucun se seraient certainement contentés de hurler à leur mort prochaine. Pour une Mutante, la perte de contrôle de son pouvoir était une manifestation somme toute plutôt adéquate. Qu'importe que cela fasse bien longtemps qu'une telle chose ne se soit pas produite, elle qui avait consacré tant d'efforts à maîtriser ses flammes, son inconscient n'en avait cure. Après tout, on disait que la seule véritable défense restait l'attaque.

Fort heureusement, elle s'était éloignée de ses comparses d'infortune. Par conséquent, pour l'heure, elle représentait surtout une menace pour les pierres déjà calcinées ou mises en pièces par ... Quoi que ce fut. Cependant, il n'aurait pas fallu que le feu s'étende davantage et pour ce faire, il paraissait essentiel de la contenir. Mais quoi ? La réponse fut plutôt un qui, prenant la forme d'une voix familière, laquelle put transcender la tempête de son esprit. Jonas. Par-dessus le tumulte de ses pensées, elle sentit sa main insensible à l'élément s'emparer de son bras et ses mots se frayer un chemin jusqu'à sa conscience. Ses prunelles littéralement embrasées rencontrèrent, celles, inquiètes, de son ami. La brune respirait fort. Par saccades. Elle n'était pas tout à fait sûre de ce qu'elle voyait, ou croyait voir. Il fallait bien que ce soit lui pour qu'elle se force à se concentrer. Sur lui. Rien d'autre que lui, un bref instant. « Qu'est-ce qu'on a fait, Jonas ? Qu'est-ce qu'on a fait ? » La question se répétait en boucle, ses lèvres comparables à un disque rayé sans bouton "pause". Elle ne parvenait pas à articuler quoi que ce soit d'autre et plus les secondes s’égrainaient, plus la combustion gagnait en intensité. Elle-même ignorait qu'elle pouvait projeter des flammes aussi loin, telles des vagues, là où, d'ordinaire, de simples filaments lui obéissaient. Cela dit, d'habitude, elles lui obéissaient, justement. « Qu'est-ce qu'on a fait ... Qu'est-ce qu'on a fait ... » Puis, soudain, elle parut se remémorer sa question. Bien qu'incapable de réaliser ses autres ordres, elle pouvait, au moins, lui montrer l'origine de son inouïe souffrance. D'une main tremblante, elle désigna la fameuse affiche qui lui avait oublier toute retenue. Son doigt flamboyant projeta une salve de feu, effleurant le profil de son compagnon. Il n'y avait plus qu'à espérer que lui aussi se souvienne. Car parmi toutes les conversations qu'ils avaient eu ces dernières années, cependant qu'ils se rapprochaient, elle avait fini par lui confier quelle personne elle avait été avant de rejoindre la troupe de Magneto. Pas la joaillère sans histoires au gentil petit-ami et aux parents adorables. Non, avant ça. L'espionne, l'assassin d'Hydra. Du bout des lèvres, trahissant encore la culpabilité, les remords et l'horreur que cette ancienne vie lui inspirait. Elle ne s'était pas étendue sur le sujet. Il n'avait pas insisté. Mais il savait. Elle était certaine, à l'époque, qu'il avait compris. Bien qu'avant ce jour-là, peut-être pas l'ampleur exacte des dégâts.

Le doigt toujours pointé, accusateur, vers ces affiches en lambeaux. L'esprit, lui, toujours en boucle et malmené, se répétant inlassablement que quoi qu'il arrive, quoi qu'ils aient tenté, tout est de leur faute. Elizabeth n'est pas une spécialiste de la physique quantique, contrairement à d'autres de leur petit groupe. Toutes ces histoires d'espace-temps, d'influence sur le passé, elle n'y comprend pas grand-chose. Tout ce qu'elle sait, c'est que par sécurité, il fallait prendre garde à ne pas se frotter de trop près à cet « avant », encore moins en ce qui risquait de les concerner, leurs familles ou eux - et encore, semblait-il que cela n'aurait peut-être pas de répercussions, ou pas celles envisagées, elle n'avait guère saisi les discussions qui avaient animé nombre de conversations dans l'immeuble, lors de leur existence d'après-guerre. Mais elle se demande, tout de même, encore et encore, qu'est-ce qu'ils ont fait. Pourquoi l'organisation, censée détruite, a réussi à éclater sous un grand jour favorable. Est-ce de sa faute ? A-t-elle, avec son départ, empêché celle qu'elle aurait dû être de devenir ce qu'elle aurait dû ... Être ? Une réflexion bien trop compliquée, pour des images criantes. Elle ne sait pas. Personne ne sait. On ne peut pas lui répondre.

Elle sent bien que ses jambes ne vont plus la porter longtemps. De déchainement sans précédant de pouvoirs puise dans ses réserves d'énergie. C'est elle qu'il consume, ce don malheureux, en se manifestant aussi violemment. En plus de l'agitation de son esprit, bien sûr. Jamais la mutante ne s'est sentie aussi sans dessus dessous. Comme si on l'avait poussé de force dans un manège à sensations plus que fortes et qu'elle ne pouvait plus en descendre. En d'autres circonstances, elle se serait demandée si, en cas de nausée, elle aurait vomi de la lave en fusion plutôt que leur dernier repas.

Au loin, alors qu'il est pourtant si près, Jonas lui assure que tout cela ne peut être de leur fait. Elle l'entend à peine. Elle repart dans les tréfonds de son esprit et des flammes qui se déchaînent. Jusqu'à ce qu'elle sente une pression sur son visage. Ses prunelles embrasées quitte la vision des étendards pour comprendre à quoi cette sensation correspond. Et elle comprend que ce sont les doigts de son compagnon sur son visage. Une peau que le feu lèche sans l'abîmer. Une peau contre la sienne, qui la touche doucement, sans la blesser non plus. Des lèvres qui remuent encore et tentent de la rassurer. De lui transmettre une conviction qu'elle voudrait elle aussi ressentir. Elle se concentre, repousse la terreur. Un peu. C'est déjà ça de pris. Le brasier faiblit. Ça fonctionne. Alors, elle se focalise encore plus fort sur le contact de son ami. Elle s'y accroche avec la force du désespoir, remplaçant celui qui l'a assailli lorsqu'elle a lu ces deux fameux mots honnis, fixant Jonas et rien que lui. Jusqu'à ce qu'il ponctue ses gestes davantage en la serrant contre lui. Un instant statufiée, elle finit par s'abandonner à cette étreinte inattendue. Cette fois, ses jambes se dérobent pour de bon et elle sent qu'ils s'affaissent, l'un contre l'autre, à genoux. Des larmes faites d'un étrange mélange d'eau salée et de feu dévalent ses joues. Elle sanglote en silence, le visage niché dans le cou du mutant. Ses mains à elle agrippent la veste de son comparse, laquelle a miraculeusement survécu à son coup de sang. Oui, ils vont trouver ce qu'il s'est passé. Ils comprendront, plus tard, s'ils ont pris part à ce désastre. Mais pas maintenant. Pas tout de suite. « Sors-moi de là, s'il te plaît. Emmène-moi ailleurs. » Sa voix n'est qu'un souffle expiré au creux de l'oreille de Jonas. Un murmure aux échos de supplique, entre fatalité et épuisement. Tandis qu'enfin, les flammes se tarissent et que, faute de sa combinaison ignifugée, il ne reste plus d'elle que sa silhouette dans son plus simple appareil. Eve expulsée du jardin d'Eden, en somme.

Liz avait oublié à quel point cela pouvait être agréable. D'avoir quelqu'un à qui se raccrocher. Depuis l'arrivée de Thanos, soit le moment où son existence à peu près normale pour laquelle elle avait lutté s'était effondrée, elle ne s'était plus laissée aller à se reposer sur qui que ce soit d'autre qu'elle-même. Bien sûr, il y avait eu ses comparses des X-Men survivants. Naturellement, il y avait eu les Avengers. Cependant, malgré le sentiment d'appartenance qu'elle avait pu ressentir, en dépit de la confiance qu'elle avait accordé à chacun de ses compagnons d'infortune et de bataille, elle était toujours restée sur le qui-vive. Comme si s'attacher à l'un ou l'une d'entre eux revenait à accepter de les perdre, ainsi que la douleur qui y serait associée. Elle n'avait plus pu s'y résoudre, croyait-elle, depuis ses parents et son fiancé. Pourtant, ainsi blottie contre Jonas, elle avait l'impression que plus rien ne pouvait l'atteindre. Elle n'avait plus mal. Ou presque plus. Elle aurait pu rester ainsi des heures durant, et sans doute même s'abandonner à un sommeil salvateur. Qu'importe qu'elle fut nue au milieu des décombres et à la vue de tous. Dans son esprit malmené par la violente crise qu'elle venait de traverser, plus rien ne comptait à part ces lèvres sur ses cheveux hirsutes et ses bras autour d'elle.

Ce fut le raclement de gorge de son compagnon qui la sortit des limbes dans lesquelles elle sombrait. Elle sentit enfin le cuir sur ses épaules et tandis qu'elle se détachait à contre-cœur de l'étreinte du mutant, elle s'empressa d'en refermer les pans sur sa poitrine. Réalisant que c'était tout ce qui préservait sa dignité. Maigre consolation, quoi que bienvenue. La jeune femme n'avait jamais été du genre particulièrement prude - elle avait râlé une paire de fois contre le sexisme ambiant de leur décennie d'accueil -, mais de là à s'exposer ainsi ... A la question du pyrokinésiste, elle hocha la tête aussi vivement qu'elle put. « Oui. Merci. » L'embarras lui nouait la gorge et elle n'osait pas regarder autour d'elle. Elle ne voulait surtout pas risquer de croiser le regard de Wanda, Rocket ou n'importe lequel de leur comparse. Tant pis pour l'attente, elle prendrait sur elle.

Heureusement, celle-ci ne fut pas longue. Refusant obstinément de lorgner vers le reste du groupe, elle garda les prunelles rivées vers ses genoux ramenés contre elle jusqu'à ce que Jonas revienne avec leurs biens. Surprise des forces qu'il lui restait - certainement un reste de son afflux d'adrénaline -, elle fourragea dans son sac et en extirpa un pantalon, ainsi qu'un tee-shirt. Elle s'habilla rapidement, avant d'emboiter le pas à Jonas vers un immeuble proche. Contrairement à ce qu'elle avait cru de prime abord, obnubilée par les affiches d'Hydra, certains bâtiments étaient encore debout. En attendant qu'ils trouvent mieux, ce coin ferait parfaitement office de repli. Elle laissa le soin à son ami de s'assurer que les lieux étaient vides, puis entra dans l'appartement qu'il lui proposa sans se faire prier. A l'intérieur, il ne subsistait pas grand-chose de la famille qui avait dû l'occuper. Les meubles étaient sans-dessus dessous, les tiroirs béants trahissant leur fuite précipitée. Trop épuisée pour s'en émouvoir, elle se laissa choir sur le canapé miraculeusement épargné. Dans un état quasi-second, elle sortit cette fois ce qui ressemblait à un tube de crème hydratante. Aussi indispensable que son bracelet, seul le premier pouvait désormais l'aider. Elle avait grimacé tout le long du trajet et maintenant qu'elle pouvait enfin se poser quelque part, la douleur se lisait sur ses traits. Des engelures avaient commencé à se former sur ses phalanges, de même que ça et là, son derme trop sollicité était scarifié, l'épiderme ouvert sur des entailles légères. Elle avait beau résister au feu aussi bien que Jonas, elle devait néanmoins composer avec un revers : une atopie sévère, aujourd'hui exacerbée par sa combustion trop brusque. « Est-ce que tu pourrais ... » Elle jeta un œil à ses doigts rouges et quasiment impossibles à mouvoir, avant de relever le nez vers le mutant. Elle n'en menait franchement pas large. « Juste mes mains. Après, ça ira. » Il en avait déjà beaucoup fait, aussi s'en voulait-elle de lui demander un autre service. D'ailleurs, elle ne l'aurait pas fait si elle avait eu le choix.

Les marques sont, heureusement, plus impressionnantes qu'intolérables. Depuis le temps, la mutante a appris à composer avec l'autre côté du tranchant de ses pouvoirs. Sans compter que la fatigue naissante la plonge dans une sorte d'état second, comme si elle était détachée de son propre corps. Son esprit lui-même peine à s'ancrer totalement dans la réalité, un peu comme si elle était ivre - la bouteille de whisky coulant dans ses veines en moins. Pourtant, ses paupières ne papillonnent pas et son regard reste encore plutôt alerte. Preuve en est lorsqu'il se porte sur les doigts de Jonas prenant soin des siens. L'effet du baume est quasi-instantané. Elle sait que d'ici une heure à peine, il ne substituera, en tout cas physiquement, de sa petite crise existentielle que quelques tiraillements et cicatrices rosées. Ce qui ne l'empêche pas de pousser un soupir de soulagement tandis qu'elle peut enfin bouger ses mains sans que ses nerfs ne vrillent violemment. « Je sais. » rétorque-t-elle avec un sourire un peu fade à son comparse, alors qu'il lui affirme qu'il peut l'aider davantage, si elle en a besoin. En d'autres circonstances, elle aurait probablement sauté sur l'occasion pour se laisser aller à un trait d'esprit lubrique, histoire de détendre l'atmosphère, cependant, cela ne lui vient même pas à l'idée. Sans doute son cerveau est-il trop affaibli pour ça. « Tu me connais décidément un peu trop bien. » La réplique vaut autant pour le fait qu'il ait gentiment taclé ses tendances à vouloir rester farouchement indépendante, que pour celui où il craint qu'elle n'utilise pas ce moment hors du temps pour recharger ses batteries. Son sourire se fait plus franc, ses prunelles se détachant un instant de leurs doigts presque entrelacés pour croiser celles de Jonas.

Cependant, la chaleur qui s'insinue en elle à ce moment précis n'a rien à voir avec le feu qui a bien manqué de la consumer un peu plus tôt. Sans doute son état d'épuisement latent n'est-il pas étranger aux brèves pensées loin d'être seulement amicales qui la traversent et qu'elle a plus de mal que d'habitude à repousser, voire à carrément ignorer. Après n'avoir été que terreur et désespoir, cette sensation, aussi déplacée soit-elle au regard de leur longue amitié, est presque la bienvenue. De là à s'y abandonner ? Elizabeth n'a jamais été du genre à réagir de manière impulsive et bien que ses inhibitions aient considérablement été mises à mal, il faudrait plus qu'un coup de sang pour qu'elle s'oublie en totalité. Surtout qu'elle ignore comment il réagirait. Certes, ils s'étaient embrassés. Une seule fois. Un écart qui n'avait eu, semblait-il, ni conséquence, ni résonance entre eux. Une bête erreur, sans doute. « J'irais nous chercher de quoi manger, qu'on puisse faire un vrai repas et reprendre des forces. » Perdue dans ses considérations brumeuses sans queue ni tête, il faut à la jeune femme quelques secondes pour assimiler ce qu'il vient de dire. Aussitôt la lumière faite, ses pupilles se dilatent en même temps que ses lèvres frémissent. Une peur sourde lui vrille l'estomac. Celle d'être seule. Qu'il la laisse. Qu'importe que ce soit temporaire, le temps d'assurer leur confort à tous les deux, si ce n'est simplement leur survie. Sa main toujours dans celle de son compagnon la serre soudain avec force, ravivant une escarre se remet à saigner. « Pas tout de suite ! » s'exclame-t-elle un peu trop vivement. « Excuse-moi ... Je veux dire ... Reste, s'il te plaît. Encore un peu. » Avec moi manque-t-elle d'ajouter, se retenant juste à temps. Néanmoins, la façon dont elle l'observe, son regard planté dans celui de Jonas, trahit tout ce qu'elle ne dit pas. Son trouble, en premier lieu. Lequel n'a rien à voir avec Hydra, ainsi qu'en témoigne la façon dont elle a, instinctivement et sans calcul, avancé le visage vers lui.

Quelque chose est en train de se passer. La jeune femme n'ose pas se l'avouer, parce que depuis tout ce temps passé ensemble, toutes ces conversations, tous ces gestes sans ambiguïté pour se rassurer l'un l'autre ou simplement, se soutenir, elle a fini par se faire une raison. D'une certaine manière, si leur relation avait dû prendre un autre tournant, elle s'est persuadée que cela aurait déjà dû être fait. Ils en avaient eu le temps, et probablement plusieurs opportunités - en mettant de côté leur petit « outrepassement » durant une soirée plus alcoolisée que les autres. Seulement, ni l'un ni l'autre n'avait tenté de rapprochement. Oh ! Il y avait bien eu quelques regards en coin, des sourires complices, une main trouvant celle de son comparse pour apaiser une colère naissante. Ils s'étaient aussi, souvent, mutuellement défendus quand ils avaient eu l'impression que leur voix était reléguée au second plan, sous prétexte que personne ne scandait leur nom, ni ne portait de costume à leur effigie - du moins, était-ce l'impression qu'ils en avaient dans ces moments-là. Mais n'était-ce pas ce que les amis faisaient, après tout ? Liz eu une pensée fugace pour Tweety, son amie mutante qu'elle avait abandonné au nouveau portail. Elle l'aurait fait pour elle aussi, quel qu'en soit le prix. Sauf qu'elle n'avait jamais ressenti la moindre attirance pour l'autre jeune femme. Elle n'avait jamais cherché sa silhouette parmi une foule. Ce n'était pas elle non plus qu'elle avait souhaité aller trouver toutes ces nuits où elle se réveillait, baignée de sueur à cause des cauchemars qui la hantaient. C'était donc différent. Néanmoins, Elizabeth n'avait pas non plus creusé la question. Comme si cet entre-deux se suffisait à lui-même. Comme si, de cette manière, elle risquait moins de souffrir dans le cas où ils devraient être séparés.

Et maintenant, cet instant, il y a ce quelque chose. Elle peut presque entendre le mur qu'elle a dressé entre ses envies de femme et son statut « d'héroïne » de seconde zone, grincer tandis qu'il commence à s'effondrer. Est-ce la fatigue ? La façon dont il s'est précipité pour l'arrêter alors qu'elle perdait pied ? Celle dont il l'a tenue si longuement jusqu'à ce que ses larmes se tarissent ? Cette nécessité qu'il lui a communiqué de la mettre en sécurité, de panser ses plaies ? La mutante l'ignore, seulement, le fait est qu'en cet instant, elle ne pense plus qu'à son compagnon. A ses yeux rivés aux siens, deux paires aussi brûlantes que leur nature. A la proximité de leurs souffles presque entremêlés, se cherchant l'un l'autre. Il lève une main vers elle. Les doigts intacts de Jonas caressent sa joue. Elle n'est pas étonnée que sa propre respiration s'affole au rythme de la chamade de son cœur malmené. Elle ne l'est pas non plus lorsque leurs lèvres se trouvent sous l'impulsion douce du mutant. Il y a dans ce baiser, qu'elle lui rend, de nouveau ce quelque chose. D'à ce point naturel que durant un très bref instant, elle se demande pourquoi ils ont attendu si longtemps. Pourtant, après cet échange, elle se prend à reculer la tête. De nouveau, elle l'observe, sans un mot. Soupèse-t-elle les probabilités qu'ils courent droit à leur perte en changeant la donne ? Regrette-t-elle qu'ils se soient laissés emporter par leurs instincts ? Probablement que non, puisqu'elle ne fait que profiter de ce mouvement pour retirer son tee-shirt. Le tissu défait un peu plus ses cheveux déjà emmêlés. Son absence révèle son buste nu : ses attraits, mais également la laideur de ce qu'elle s'est infligée aujourd'hui. « Ça cicatrise déjà. » souffle-t-elle, laissant planer le doute quant au fait qu'elle fasse réellement allusion à ses escarres quasi refermée, ou si elle cherche à le rassurer. En réalité, elle ne veut pas s'arrêter là. Elle ne veut pas qu'ils s'arrêtent là. Alors, elle repart à l'assaut des lèvres de Jonas. Le fièvre qui l'habite se trahit dans le baiser qu'elle lui offre tandis que cette fois, c'est elle qui lève ses bras afin de venir entourer le cou du mécanicien. L'approchant d'elle. Encore plus près. Pour peu qu'elle ne se soit pas trompée et que ce soit ce qu'il désire, lui aussi.