Le calme et le silence étaient la meilleure des bénédictions. Dans cette immense pièce emplie de savoir, elle ne pouvait que le savourer. Que ce soit grâce à cet écriteau à l’entrée, ou le respect des visiteurs pour le lieu, Nadia profitait de cette bulle silencieuse que lui offrait cette bibliothèque, dans laquelle elle se rendait chaque jour depuis quelques semaines maintenant. Non pas en tant que lectrice assidue, souhaitant découvrir la littérature de cette époque (bien que cela soit possible), mais en tant que professionnelle des lieux. Un petit boulot qu’elle avait réussi à se dégotter grâce à moult mensonges lors de son retour de Russie et qui lui offrait la couverture idéale. Là où son employeur croyait avoir embauché une jeune étudiante espagnole en année de césure, elle s’était offert un poste stratégique. Car, dans ce bâtiment, l’Histoire avait été transcrite à travers les âges. Des faits que Nadia n’avait put connaître de par ce voyage temporel auquel elle avait participé clandestinement. Alors tranquillement installée à un bureau devenu sien, il lui arrivait de parfois parcourir de gros ouvrages prétendant connaître la parfaite connaissance. Une activité lui offrant le calme dont elle avait besoin et qui lui permettait de perfectionner ses lacunes de savoirs.

Son voyage en Russie avait pas mal aidé l’espionne à s’adapter à ce nouveau monde. Après sa découverte de ce qu’il était advenu du Léviathan, la jeune femme ne s’était pas laissée abattre, bien au contraire. Se trouvant là où personne ne pouvait la connaître, Nadia s’était fondue dans ce pays qui avait toujours été siens. Un an de découverte et d’adaptation qui lui avait alors permis de revenir en toute sécurité sur le continent américain. Enfin elle avait les cartes en main pour jouer à ce nouveau jeu et enfin elle serait à sa place. La mutante avait eu horreur de comprendre qu’elle se trouvait dans monde si semblable, mais aussi tant différent du siens. L’adaptation avait été difficile, mais celle-ci lui avait alors permis de prendre connaissance de ses armes et d’ainsi retrouver sa maîtrise de la désillusion.

Et pourtant, ces derniers temps, quelque chose dérangeait la jeune Nadia. Ou plutôt le passage de quelqu’un. En soit, elle se fichait de qui passait dans cette bibliothèque, bien que son regard ne reste à l’affût de chaque entrée. Identifier les personnes était un très bon exercice, que ce soit pour sa couverture de bibliothécaire, mais aussi pour celle qu’elle était réellement. Car si le Léviathan ne semblait plus être dans la course, Nadia avait pu percevoir des pistes plus intéressantes, lui laissant croire que la Russie n’avait pas dit son dernier mot. L’URSS n’était peut-être plus, mais il ne fallait jamais vendre la tête de l’ours avant de l’avoir tué. Or, qui sait ce qu’était devenu cet ours… Alors elle n’avait pas abandonné son rôle d’espionne. Peut-être que pour l’heure, elle n’avait guère personne à qui faire ses rapports, mais en quoi cela lui ferait-il baisser les bras ? Là était l’enjeu de ce poste auquel elle avait répondu, faisant jouer sa culture sur son époque. Se fondre dans la masse pour mieux observer et mieux repérer… Comme cette personne qui était venue plus d’une fois dans cette bibliothèque.

Ne s’approchant pas toujours des visiteurs, Nadia ne le faisant que de temps à autres pour faire croire qu’elle leur prêtait son attention, elle n’avait pas approché cette femme. Elle ne l’avait qu’observer, de son poste, commençant à trouver son curieux une telle régularité. Il y avait bien les étudiants qui le faisaient, mais là, c’était différent. Car cette personne, ne lui semblait pas non plus étrangère, à la jeune Russe. Sans qu’elle ne puisse prétendre la connaître, elle pouvait tout de même émettre une hypothèse quant à son identité. L’identité d’une personne venant elle aussi d’un autre temps, pour avoir voyagé à travers ce même portail. Et aujourd’hui, il était temps de lever le voile de ce mystère, sans pour autant révéler les cartes de son jeu.

— Je peux vous aider ?

Nadia l’avait alors approché. Tout sourire, usant de son accent hispanique hérité de l’apprentissage de son père, jouant les jeunes femmes sociales et pleine de charme. Ce jeu, elle le maîtrisait depuis toujours. Tel avait été son apprentissage dans les lugubres pièces soviétiques, là où on lui demandait de devenir la parfaite américaine fière de sa société. Un jeu qu’elle avait doucement adapté à sa propre identité, jouant des origines de ses parents. Après tout, s’était surfait, la petite femme modèle, image du rêve américain. Pourquoi ne pas porter le charme d’un autre monde avec tant de mensonges à sa portée ?

— Je vous ai vu venir plusieurs fois ici. Vous ne trouvez pas ce que vous cherchez ?

Après tout, c’était son rôle que de conseiller et d’orienter. Nadia avait pris le temps de parcourir chaque rayon pour mieux en connaître leur contenu. Là était peut-être sa véritable implication dans ce travail qu’elle endossait, pour mieux créer ce personnage qu’elle jouait. Une parfaite entrée en matière, lui donnant porte ouverte pour son investigation. Car si elle ne commettait pas d’erreur, alors Nadia se trouvait face à un véritable défi.

Nadia n’aimait pas manquer d’informations lorsqu’elle approchait quelqu’un, mais avait-elle le choix en cet instant ? En aucun cas. Il lui fallait improviser avec ce qu’elle avait, et surtout ce qu’elle voyait. Car ce n’était que des soupçons alors que la venue régulière de cette femme l’avait interpellé. Une personne qu’elle n’avait encore jamais approchée, mais dont il pouvait être difficile de ne pas reconnaître le visage quand on avait vécu le siècle passé. Mais pour l’espionne qui avait vécu ce temps et qui avait sa propre mission dans la grande ville de New York, elle n’était pas indifférente à cette physionomie et était certaine que toutes deux venaient du même temps. Plus même, alors qu’elle doutait de son identité. En tant que membre du Léviathan, elle était au courant de certaines choses qui pouvaient interférer avec son propre rôle. Alors si elle n’avait pas été en charge de la même mission que l’agent Dottie Underwood, elle savait reconnaître un agent de la SSR. Encore plus lorsqu’il s’agissait de la seule femme. Il ne restait plus qu’à confirmer ce doute, ce qui serait certainement la tâche la plus ardue. Encore plus en ne faisant pas voler en éclats sa propre couverture.

Alors elle avait usé de ce prétexte, que de pouvoir aiguiller la lectrice parmi les différents rayons de la bibliothèque. Cela avait été la meilleure excuse de sa part pour ouvrir la conversation et, qui sait, réussir à en apprendre plus. Nadia n’était cependant pas naïve au point de croire qu’elle ferait immédiatement mouche. Pour avoir déjà dû approcher des scientifiques, travaillant entre autres pour le gouvernement, elle savait que cela requérait du temps et de la patience. Deux choses dont, bien heureusement, la demoiselle était en possession. Du moins, qu’elle savait posséder quand elle prenait cette position. Car en soit, la patience n’était pas son fort, Nadia détestant voir qu’elle perdait son temps. Mais quand ça payait, c’était tout autre chose et subitement, elle savait faire preuve de persévérance sans laisser parler son impulsivité.

Les eaux américaines ? Était-ce réellement un sujet intéressant ? Nadia avait dû faire preuve de talent pour en cacher sa surprise, alors que jamais elle ne s’était attendue à une telle réponse. Pourtant, ce sujet allait lui donner un véritable appui dans sa manœuvre, tandis que la lectrice lui donnait d’importants éléments lui permettant de mettre en place une rapide stratégie. Nadia n’allait certainement pas s’asseoir pour faire copine-copine, il lui fallait une manière bien plus subtile pour obtenir quelques informations, qui lui permettront par la suite de mener ses recherches.

— Oui, c’est vrai que la bibliothèque est assez bien fournie de ce côté-là, même si votre sujet n’est pas le plus demandé. Vous menez une étude ?

Nadia avait bien plus souvent des questions sur les sujets juridiques, philosophiques, médicales ou scientifiques, mais plus orienté chimie que nature. Alors c’était tout naturellement qu’elle pouvait s’intéresser à la raison de ces recherches. Bien souvent, ce genre d’études était mené par des scientifiques ou des professeurs souhaitant voir l’évolution de la nature. C’était une conclusion qu’elle en avait tiré de son apprentissage sur l’évolution du monde, et notamment de sa société, lorsque l’espionne avait rattrapé son retard. Heureusement, elle avait mené ses propres recherches hors du sol américain, ce qui pouvait éviter de mener la moindre suspicion. Elle était revenue à New York comme quiconque l’aurait fait pour s’y installer, comme si elle avait toujours été de cette époque. Bien qu’elle dût avouer avoir encore parfois du mal avec les outils informatiques, mais là était une autre question.

— Concernant la faune de Yellowstone, les ouvrages les plus récents que nous possédons concernent surtout l’étude d’animaux terrestres et notamment les bénéfices de la réintroduction du loup. Mais nous avons pas mal d’ouvrage sur les grands lacs, allant de leur histoire à des encyclopédies où vous pourrez trouver toutes les espèces aquatiques s’y trouvant.

Bon, Nadia ne serait pas capable d’expliquer en détail le contenu de ces ouvrages, alors que ceux-ci ne lui auraient rien apporté d’autres qu’une perte de temps. Elle avait simplement mémorisé l’emplacement des différentes catégories et vu ce qui était souvent emprunté par d’autres. Un bon moyen de se montrer capable d’orienter les visiteurs, ce qui lui avait permis de faire ses preuves auprès de l’employer. La demoiselle devait reconnaître que c’était un bon point de cette époque, que la femme puisse autant se rendre indépendante. Il était bien plus simple pour elle de se fondre dans la masse et de ne plus avoir à dépendre de personne.

— Je peux vous y guider si vous le souhaitez, et si vos emprunts sont pour un quelconque travail, je peux peut-être essayer de m’arranger avec la direction pour augmenter votre possibilité d’emprunt.

Avec cette proposition, elle espérait s’attirer quelques confidences de la part de cette personne. Pour l’heure, Nadia ne voulait tirer aucune conclusion, mémorisant simplement le moindre détail pouvant l’aider par la suite. En tout cas, maintenant qu’elle échangeait avec elle, elle doutait peu de l’identité de cette personne. Elle attendait simplement la moindre information pouvant le lui confirmer, tout en essayant de son côté, de ne pas trahir son rôle. Car si elle-même supposait qu’elles viennent toutes deux de la même époque, l’inverse pouvait s’avérer toute aussi vraie.